vendredi 14 novembre 2014

Voisins et amis



Quand nous habitions à la Bellestraat, N° 16 A, c’était encore la campagne. Même maintenant, quand je regarde Google Earth, je vois encore beaucoup de vert, mais certaines maisons de famille sont devenues des usines ou des hangars.

Quelques fermes continuent encore à lutter contre l’envahissement urbain, grâce aux subsides probablement. Dans le temps, toutes les maisons du quartier avaient des jardins, certains très grands, et se trouvaient espacées parmi les prairies et les champs. On peut voir le toit rouge de notre maison au milieu du cercle blanc. 


Maman était toujours heureuse quand elle voyait des vaches, qui lui servaient de baromètre : quand elles se couchaient dans l’herbe ça voulait dire qu’il allait faire beau, toujours un grand bonheur en Belgique où ça n’arrive pas assez souvent. Elle disait même : « Après ma mort je voudrais renaître comme une vache et passer mon temps à ruminer en regardant passer les trains ».
Parmi les fermes de la Bellestraat et la Callaertstraat il y en avait deux où nous allions régulièrement acheter du lait, du beurre, des œufs ou des pommes de terre. Quand nous étions petits nous allions admirer les petits cochons nouveau-nés de la famille Beck et nous pouvions « aider » pour la récolte des patates. Dans leur grande cuisine qui servait de pièce à vivre il y avait bien sûr un poêle Belpaire mais aussi un tableau qui représentait un triangle avec un œil à l’intérieur et avec la légende « Dieu vous voit, on ne jure pas ici ». Quand l’aîné, Maurice Beck, a hérité de la ferme, il a changé les cultures de seigle et de pommes de terre et les prairies à vaches pour des vergers à pommes. 

Dans l’autre ferme, chez Léa, nous allions acheter le lait frais des vaches avec un grand bidon en aluminium et plus tard, quand ils avaient vendu leurs bêtes et étaient devenus distributeurs, ils nous livraient la bière et le coca cola. Mais ils avaient encore des poules et vendaient toujours des œufs.

Le jardin de la famille Belpaire avait été agrandi par l’achat d’un terrain, séparé par un fossé avec un petit pont. Le « nouveau jardin » allait servir de potager, de verger et pour y construire un tennis en dalles de ciment, où on faisait surtout du patin à roulettes. Le terrain occupait alors toute la surface depuis le coin de la Callaertstraat jusqu’au jardin de la famille Van Haveren, nos voisins de droite si on regardait de la rue, et qui occupait aussi le terrain derrière chez nous. 



Monsieur Van Haveren était fabriquant des fameux tapis saint-nicolasiens, qu’on envoyait en Egypte pour pouvoir mettre une étiquette qui augmenterait leur valeur, étant alors considérés comme des tapis d’Orient. Chez les Van Haveren il y avait trois enfants, deux « grands », Yves et Francine, qui faisaient amitié avec François et Nénette, et un beaucoup plus jeune, Thierry, qui était le grand copain de  ma petite sœur Christine depuis leur plus tendre enfance. Ces deux-là se rencontraient à travers d’un petit trou qu’ils avaient fait, ou du moins élargi, dans la haie qui séparait les deux jardins et qu’ils avaient baptisé « pietenholleke », déformation de « piepenholleke », « peephole » en anglais.


De l’autre côté du jardin, en traversant la Callaertstraat, habitaient mes amies, Martine Walkiers, qui était fille unique, et juste à côté, Annette et Brigitte Kort. Martine et Annette étaient dans ma classe, Brigitte avait un an de moins. Je vous ai déjà raconté que nous allions à l’école en vélo ensemble. Didier était beaucoup plus jeune et, en conséquence, nous ne tenions pas beaucoup compte de lui. Quand nous avions quatorze ans, j’étais tout le temps chez les Kort ou les Walkiers, ou elles chez nous. C’est aussi chez les Kort que j’ai goûté mon premier whisky, mais je n’aimais pas trop ça. Nous aimions par contre beaucoup nous installer sur le toit en tuiles noires pour prendre le soleil, il y faisait bien chaud, et de là-haut on pouvait admirer la vue sur la campagne.     


Promenades

En effet, la campagne autour de Saint Nicolas était belle et il y avait de très jolies promenades à faire dans les villages des alentours. C’était la tradition d’aller faire un tour avec toute la famille les dimanche après-midis. On faisait un bout en auto, en général vers une partie boisée, ou vers l’Escaut, pour y aller marcher pendant une heure ou deux. Papa aimait aussi visiter les bas-reliefs figurant de naïfs Purgatoires qu’on trouvait sur les murs extérieurs de beaucoup de petites églises de campagne, ou admirer les bottines rouge vif et le chien de Saint Roc à Puivelde. Ou alors il faisait un détour par Sinaai rien que pour admirer une maison qui avait une énorme cheminée adossée, qui a inspiré la mienne à La Paz, bien que celle-ci soit beaucoup plus modeste.

Il y avait aussi de belles promenades tout près de la maison, en faisant le tour par la Uilestraat où il y avait des maisons minuscules avec des nains de jardin et un assez grand fossé avec des têtards et même des épinoches, ou le long du chemin de fer jusqu’à Nieuwkerken.

Les promenades en vélo pouvaient se faire avec « les quatre petits » ou juste avec Tiennot, avec les copines, ou parfois avec les cousins Belpaire, Raymond et Philippe. Un de nos buts favoris était le bowling de Waasmunster où on allait jouer une partie et écouter des disques en buvant une orangina (« psitt orange, psitt citron »). Sinon on allait souvent à Tamise, et en traversant le pont sur l’Escaut, on suivait les digues de l’autre côté, sur la rive droite, vers Weert où les vieilles maisons avaient de toutes petites portes.

Une seule fois on est allés jusqu’à la mer en vélo, Tiennot et moi. Ce n’était pas le tour de France, mais on avait quand même mal aux fesses en arrivant, après les 80 kilomètres de mauvaises routes. Nous n’avons pas recommencé. D’autres fois on allait jusqu’en Hollande, moins loin, et où les pistes cyclables étaient meilleures que les pavés de Gand et de Eeklo, mais où il y avait par contre beaucoup plus de vent, et qui n’allait pas nécessairement dans la même direction que nous.    

La famille Ouwerx

Même s’ils n’étaient pas voisins et qu’ils habitaient en plein centre ville, je devrais mentionner les Ouwerx parmi les fidèles amis de la famille. Madame Ouwerx était une personne imposante, avec une devanture considérable, amie de maman. Un de ses fils, Luc, était copain de ma sœur Anne, et surtout, ils dansaient ensemble un rock and roll des plus classiques et endiablés. Ginette était amie d’école de Nénette et elles étaient allées ensemble aux sports d’hiver en Autriche. D’après ce qu’elle me raconte, un touriste américain leur demandait le soir « si elles avaient bien chié ». Dans mon souvenir, elles parlaient ensuite d’elles-mêmes comme des « Chie-Kanonen ». En tout cas elles se marraient.


Le plus jeune, Alain, qui avait notre âge, venait souvent jouer au tennis à la maison. Nous lui chantions à notre façon « Retiens la nuiiiit » de Johnny Halliday : « Je t’en supplie, Alain, finiiiis… » pour le taquiner. Ce qui était sympa c’est qu’il avait chez lui un très vieux cocker noir, pratiquement aveugle, et un perroquet qui venait se percher sur son épaule ou sur sa tête. L’ami des bêtes, quoi.

Je me souviens qu’un été Madame Ouwerx avait raconté à maman qu’elle faisait un régime pour maigrir. On était à la mer. « Mon médecin m’a prescrit de ne manger que des glaces et rien d’autre », disait-elle. Du coup elle léchait toute la journée les cornets des fameuses glaces Pingouin faites à la pure crème fraîche, délicieuses d’ailleurs. Peut-être que l’idée du médecin avait été de la dégoûter des glaces par l’excès, mais ça n’avait pas l’air de fonctionner. En fin de compte, je ne sais pas combien de kilos elle aura perdus ou gagnés pendant son séjour à la côte.   

Activités sportives

J’étais sportive à l’époque : avec Mady et le reste de la bande nous allions au club de natation de la ville ou nous jouions au tennis, soit à la maison, soit aux plaines de jeux du Witte Molen, près de chez elle. Par contre je n’aimais pas le club de tennis de Tamise, considéré beaucoup trop snob.

Le club de natation avait commencé à fonctionner une fois que la piscine municipale couverte avait été construite. Le club était mixte et les entraînements se faisaient, j’imagine, les mercredis et samedi après-midis, en plus des compétitions qui avaient parfois lieu le dimanche. Comme je me fatiguais vite au crawl ou à la nage papillon, je me contentais de participer aux courses de relais, à la brasse. Mon équipe a quand même gagné une fois, grâce à Monique Segers, qui était grande et avait de longs bras. Après l’entraînement on pouvait rester un moment à s’amuser et les garçons en profitaient pour embêter les filles en les poussant sous l’eau ou en les attrapant à deux pour les flanquer dans la piscine depuis le bord. Nous on ne demandait pas mieux et ça terminait en rigolades et bonne camaraderie.


D’après ce que Mady me raconte, au moins une de ces « idylles » s’est terminée en mariage, entre la fille blonde de la papeterie derrière l’église Notre Dame et le champion de natation Marcel. C’est elle qui faisait le facteur pour les petits billets doux.

Jeunes amours

D’ailleurs tout le monde à Saint Nicolas était supposé d’avoir un amoureux, au moins prospectif. Entre les filles de l’école, c’était considéré anormal de ne pas soupirer pour quelqu’un et c’était un facteur important pour le « pecking order ». 

Par contre il n’était pas absolument nécessaire que la personne aimée soit au courant, du moment que les copines le sachent et puissent échanger des confidences. De toute façon c’était au gars de se déclarer, comme fille on pouvait juste lui faire un peu de l’œil et espérer qu’il le remarque.

C’est comme ça que j’ai connu Jean Michel et que je l’ai mis sur ma liste de « boontjes ». En flamand on disait « avoir une petite fève » pour quelqu’un, je ne sais pas d’où vient cette expression. Jean Michel était liégeois et était venu passer un mois chez Marnix dans un programme d’échange, pour apprendre le néerlandais. 

Marnix faisait partie du club de natation et nous avait présenté son correspondant pendant la kermesse, un autre lieu de rencontre pour les jeunes, particulièrement près des « boksautokes » (voitures tamponneuses). Je trouvais Jean Michel à mon goût et légèrement exotique, pour moi c’était l’arrangement idéal : je pouvais me vanter devant mes copines, mais comme il n’allait rester qu’un mois à Saint Nicolas, il n’y avait aucun compromis à plus long terme. 


C’est très agréable de rêver un peu et de se sentir amoureux quand on a seize ans. J’ai même écrit un ou deux poèmes, que personne n’a jamais vus et qui n’existent heureusement plus. Nous nous sommes bien envoyé quelques lettres pendant les semaines suivantes, mais ses parents ont interrompu cette correspondance en prenant les choses beaucoup plus au sérieux qu’il ne fallait.

De toute façon cette rencontre eut un effet important dans ma vie. Comme Jean Michel s’était moqué de mon drôle d’accent en français, cela confirmait ma décision déjà à moitié prise de continuer mes études à Bruxelles et sortir du provincialisme étouffant de ma ville et des conditions assez médiocres de mon école.

J’arrivai ce même été à convaincre mes parents de m’envoyer en pension à Bruxelles en septembre. Je n’ai pas eu trop de mal, puisque Anne et Nénette étaient déjà allées au Berlaymont avant moi. Finalement ce fut l’Institut Saint André, à Ixelles, qui fut choisi parce que je voulais continuer mes humanités latin-sciences, qui n’existaient pas au Berlaymont. Heureusement.

A partir de là, je pris le train très tôt tous les lundis matins pour me rendre à Bruxelles et dormir en classe le reste de la matinée. J’aurais bien aimé faire des humanités artistiques, mais ça n’était pas considéré comme une option sérieuse par mes chers parents.


Rupelmonde

Annette et Brigitte étaient allées un soir à Rupelmonde avec leur famille pour écouter un groupe de chanteurs portugais qui faisaient sans doute le tour de l’Europe. Elles en sont revenues enchantées, pas seulement par la musique, mais aussi par les jeunes gens qui la faisaient. Elles voulaient donc à tout prix retourner les voir le dimanche suivant, en sachant qu’ils allaient donner un concert dans l’après-midi. Comme elles ne voulaient pas mettre leurs parents au courant de cette petite promenade, elles avaient décidé de prétendre qu’elles allaient regarder le championnat de natation dans lequel Mady participait.


Elles m’avaient rencontrée à l’arrêt du bus (j’avais toute l’intention d’aller encourager Mady) et, peut-être comme alibi ou pour me faire partager leur admiration, elles m’avaient invitée à les accompagner pour écouter les quatre portugais. Annette avait assez d’argent pour payer un taxi (Rupelmonde, patrie du grand géographe Mercator, se trouve à une douzaine de kilomètres de Saint Nicolas). 

Une fois arrivées dans une grande salle de restaurant où allait se produire le spectacle, nous avions occupé une table et commandé des cocas. Il me semble que la musique était effectivement très belle (j’aime encore toujours beaucoup les fados) et après le concert les musiciens, qui avaient sans doute reconnu leurs fans de l’avant-veille, étaient venus s’asseoir un moment à notre table. D’ailleurs ils faisaient le tour de toutes les tables où on voulait bien les recevoir, peut-être dans l’espoir de se voir offrir un verre. Après quoi, nous avons sagement pris le bus pour rentrer.

La version que reçurent nos parents peu après par des informateurs anonymes, bien que j’aie de sérieux soupçons sur un voisin maître d’école qui avait assisté au spectacle, était très différente. Je crois même que l’information était arrivée avant nous, parce qu’elle arrivait en auto et nous en bus, mais en tous cas les espions en avaient ajouté le double et le triple, nous faisant apparaître comme des filles déchues et je ne sais quoi d’autre. Papa et maman étaient dans tous leurs états en pensant que j’avais perdu ma virginité aux mains de ces dangereux étrangers. C’est vrai que nous étions allées à Rupelmonde sans permission, mais de là à mériter tous ces racontars mal intentionnés il y avait de la distance. C’était pourtant un bon exemple de la mentalité de village de Saint Nicolas.

En fin de compte je reçus comme punition l’interdiction de sortir pendant un mois, sauf pour aller à l’école, punition que je considérais raisonnable. Pour Mady ce fut pire : à elle qui n’avait absolument rien à voir et qui n’était au courant de rien, ses parents, qui avaient écouté les mêmes ragots malicieux, lui interdirent de jamais plus fréquenter les Kort. Elle a pu recontacter Brigitte il y a seulement  quelques années, grâce à l’internet, et elles ont repris leur amitié où elles l’avaient laissée. 

Brigitte est malheureusement décédée le 13 juillet 2013, bien peu de temps après, nous laissant tristes mais avec tous les bons souvenirs des moments passés ensemble. Ce qui me ramène au récit de notre jeunesse partagée.

Les surboums

Malgré cet épisode, nos parents nous laissaient faire pas mal de choses, tant qu’ils savaient où et avec qui nous étions. Nous organisions donc des surboums, et comme il fallait des garçons pour pouvoir danser, on invitait les cousins Raymond et Philippe, Olivier De Laedt qui habitait un peu plus loin dans la Bellestraat, parfois Pierre et Jacques Poppe, Alain Ouwerx ou encore d’autres dont je ne me souviens plus maintenant. Tiennot faisait aussi partie des danseurs et en plus s’occupait du tourne-disque, ce qui était beaucoup de travail du temps des 45 tours, qui avaient juste une ou deux chansons de chaque côté. 

Nos goûts musicaux avaient été formés par « Salut les Copains », le programme de radio pour teenagers qui passait à Europe N°1 de cinq à six heures et on écoutait les « tubes » de Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Johnny bien sûr, Sheila (« L’école est finiiiiiiiiie »), Claude Nougaro (« Je suis sous, sous, sous ton balcon, Marie-Christiiiine ! ») Jacques Dutronc (« Cinq cent millions de petits chinois, et moi et moi et moi »), Claude François, mais aussi Ray Charles (« I can’t stop loving you… »), les Beatles, Cliff Richard, Bill Halley, le grand Elvis, Fats Domino (« Blueberry Hills »), Chuck Berry, les Beach Boys, the Animals, et tant d’autres.
 

Ces petites réunions commençaient vers six heures et demie et terminaient à neuf heures, quand nos parents mettaient tout le monde à la porte. Les choses s’organisaient chez l’un ou chez l’autre et tout le monde amenait quelque chose à boire ou à manger, en plus de prêter ses disques préférés. 

A un moment donné nous avions même organisé une partie de la cave pour les surboums. Si je me souviens bien, François avait fait des dessins au charbon de bois sur les murs et il y avait des bougies dans des bouteilles vides de chianti. Ça faisait tout à fait antre existentialiste de Saint Germain des Prés. Mais l’alcool n’était pas admis.  

Les fêtes

A partir de 18 ans, on avait le droit d’aller aux vraies fêtes dansantes. Il faut que j’explique : parmi les bourgeois flamands francophones il était très important de s’assurer que les enfants se marient avec une personne « de la même société ». Il fallait donc s’organiser pour que les jeunes filles et les jeunes gens puissent se rencontrer dans une ambiance surveillée, mais qui en même temps favorisait les rencontres romantiques.

La tradition voulait donc que les familles donnent une première fête pour les 18 ans de leur fille, qui était ainsi « présentée dans le monde », on disait que désormais « elle sortait ». Je dois admettre qu’en Amérique Latine ça se fait à quinze ans, encore pire.
 


A cette fête on invitait le plus de monde possible parmi les connaissances considérées « convenables » par la famille, pour que la jeune fille soit à son tour invitée à toutes les fêtes qu’organiseraient ces personnes dans la même année ou pendant la suivante. Il y avait un bar avec toutes sortes de boissons, une assiette froide vers minuit et les disques à la mode. Les soirées commençaient vers dix heures mais il fallait toujours attendre près d’une heure pour qu’il y ait « de l’ambiance » et que tout le monde commence à danser : personne ne voulait être le premier.  

Bien sûr la pêche au futur mari ne marchait d’habitude pas du premier coup, et il fallait alors organiser chaque année une nouvelle soirée dansante jusqu’à ce que la jeune fille soit casée. S’il y avait plusieurs sœurs, ça multipliait les fêtes et les frais, à moins qu’elles soient très proches en âge.

C’était – je dois dire qu’avant notre époque – une véritable foire aux futurs conjoints, parce que les filles n’avaient pas beaucoup d’autres occasions pour rencontrer des garçons : les écoles n’étaient pas mixtes, les filles n’allaient pas à l’université et elles ne travaillaient d’habitude pas. Une fois qu’elles étaient sorties de l’école, elles restaient chez elles à aider leur maman et à apprendre à cuisiner. Heureusement tout ça avait beaucoup changé déjà, grâce à nos frères et sœurs ainés.

Pour ces soirées dansantes, les filles mettaient des robes longues et les garçons des smokings avec nœud papillon. Mais comme c’était en plein l’époque du rock et du twist, la musique n’était pas très en accord avec ces vêtements de gala. En tous cas et malgré le protocole, on s’amusait beaucoup à ces fêtes et il y en avait une pratiquement tous les samedis dans l’une ou l’autre ville ou campagne flamande. Clairement, les jeunes qui y assistaient n’avaient plus les mêmes préjugés que certains parents, et à part quelques « vieux » célibataires, notaires, avocats ou médecins de 28 ans, personne ne pensait à y chercher chaussure à son pied.

Les garçons organisaient aussi parfois des fêtes chez eux, mais elles étaient beaucoup moins formelles, plutôt des surprise parties. Dans tous les cas, les parents restaient à la maison, encore que de façon discrète, et devaient supporter le chahut jusqu’à quatre ou cinq heures du matin, question de contrôler le débit d’alcool et le bon comportement de la jeunesse.

Je me rappelle de ma robe longue bleue avec des petites pierres brillantes au corsage, qu’on était allées acheter avec maman à Anvers. Elle a beaucoup servi, même si je marchais souvent dessus en dansant le « rock around the clock » et qu’il fallait recoudre la doublure de temps en temps. J’enlevais mes lunettes de myope parce que je me trouvais laide avec elles, du coup je voyais tout comme dans un tableau impressionniste. Je déclarais à Mady : « Je préfère les enlever pour pouvoir m’amuser ». Elle me répondait : « Moi je préfère les garder pour m’amuser ». En effet, elle passait beaucoup de temps à observer tout le monde autour d’elle pendant que je me concentrais sur mon cavalier d’un soir. Je suis sûre qu’elle peut encore faire la liste de tous ceux et celles qui se retrouvaient à chacune de ces soirées. Moi pas.      

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