Le « zwemkot »
Avant qu’on ait construit la piscine municipale de Saint Nicolas
(pardon, c’était considéré malpoli chez nous de dire piscine, il fallait dire
bassin de natation), nous allions nager, dès le 15 mai, chez Scheerders.
Scheerders était un fabriquant de briques et le bassin était un énorme puits
qu’on avait creusé pour obtenir la terre glaise.
Cela formait comme un petit lac, mais très profond, et donc les endroits
sur le bord où pouvaient aller les enfants étaient délimités avec des
ficelles : le bassin aux poules (kiekekot) peu profond, pour que ceux qui
ne savaient pas encore nager puissent barboter, et le bassin aux canards
(eendekot), pour ceux qui savaient nager un peu mais où on avait encore pied. Le reste
du lac était réservé aux nageurs intrépides, qui faisaient l’aller-retour
jusqu’au radeau ancré au milieu. L’eau était complètement verte, très froide au
printemps, mais on y allait presque tous les jours après l’école avec les
copines pour faire quelques brasses et sortir en grelottant.
Il y avait toujours eu un petit bassin minuscule dans le jardin où nous
mouiller les pieds ou faire flotter des bateaux ou des canards en caoutchouc.
Plus tard mon père décida de le remplacer par un vrai bassin de dix mètres sur
cinq, mais à condition qu’on aide tous à le creuser. Le petit bassin était
devenu un bac de sable.
Les vacances d’été toutes entières se passèrent à
piocher, pelleter et pousser des brouettes pleines de terre, l’automne
s’approchait et le trou n’était toujours pas assez profond. Finalement papa fit
venir un tracteur-pelleteuse qui fit le même travail en une demi-journée que
nous avions fait en deux mois… quelle frustration devant le travail inutile. Bientôt des maçons coulèrent le ciment et nous pûmes finalement inaugurer la
fameuse piscine avant l’hiver.
Chez les guides
Ce fut à la même époque à peu près que je fis mon début chez les guides.
Ma sœur aînée Anne était cheftaine d’une nouvelle troupe de guides catholiques
rattachées à notre paroisse. Nénette était Akéla pour un groupe de louveteaux,
dans le même quartier. Anne avait décidé de me mettre d’emblée comme chef de
patrouille (ah le népotisme), avec commandement sur des filles plus âgées que
moi : j’avais onze ans et elles en avaient bien quatorze. D’après ses
arguments, elle avait fait ça parce que j’avais plus d’éducation (?). En tous
cas, en fait de scoutisme, je n’y connaissais absolument rien.
Comme on peut s’y attendre pour un uniforme scout, toutes nos robes
avaient la même couleur beige horrible, les mêmes poches partout et les mêmes plis,
de style militaire, mais malheureusement aussi la même taille, et je nageais
dans la mienne.
Cette troupe n’a pas duré très longtemps et nous fûmes bientôt
rattachées au groupe principal de Saint Nicolas, où je fis mon apprentissage de
flamingantisme et de petites chansons nazies qui faisaient hérisser le poil de
ma mère. Moi je me déclare totalement innocente de toutes ces vilaines choses
qu’on m’enseignait.
Par contre j’aimais beaucoup les excursions avec jeux de piste dans la
nature, la construction de meubles de camping avec des jeunes troncs de sapin
et des ficelles (chose qui s’appelait « schorring »), les feux de camp et surtout
d’aller camper.
J’étais à nouveau chef de patrouille, un peu plus expérimentée cette fois, et j’avais été baptisée « Blaireau tranquille ». Si mes compagnes avaient été plus sincères elles m’auraient nommé « Blaireau paresseux ». Avec mon amie Pingouin sociable (le mot « gezellig » est intraduisible) nous étions inséparables, pas seulement chez les guides mais aussi à l’école, au club de natation et au tennis.
J’étais à nouveau chef de patrouille, un peu plus expérimentée cette fois, et j’avais été baptisée « Blaireau tranquille ». Si mes compagnes avaient été plus sincères elles m’auraient nommé « Blaireau paresseux ». Avec mon amie Pingouin sociable (le mot « gezellig » est intraduisible) nous étions inséparables, pas seulement chez les guides mais aussi à l’école, au club de natation et au tennis.
Sur la glace
Dans les environs de Tamise, sur les bords de l’Escaut, les prairies
sont inondées chaque hiver en ouvrant les écluses du fleuve, pour permettre à
l’herbe de recevoir les fertilisants nécessaires pendant que les vaches sont à
l’étable. Quand il gèle fort, comme il arrive souvent pendant le mois de
janvier, cela fait une énorme patinoire où il est possible de patiner longtemps
entre les digues. Quelques saules à grosse tête, des buissons et des bancs
d’herbes plus hautes crèvent la surface de la glace de temps en temps.
On y allait en famille et avec des amis, entassés dans la VW de maman,
conduite sans doute par Anne ou Nénette ou François, souvent à huit, avec les
deux plus jeunes dans le « kattenbak » (compartiment pour les chats
ou pour les valises, au choix).
Après avoir patiné une paire d’heures et avoir eu bien froid et mal aux
genoux à force de courses dans tous les sens, on pouvait rentrer dans un café
campagnard où on servait un bouillon oxo très chaud aux patineurs, de façon à
leur faire reprendre assez de forces pour rentrer à la maison.
Une visite à l’oncle
Jacques
Oncle Jacques était le plus jeune frère de papa
et il était artiste-peintre. De temps en temps on allait lui rendre visite à Belsele
où il habitait dans une jolie maison, à la campagne. Je crois que je n’ai
jamais pu visiter son atelier, sauf une fois quand il l’avait aménagé en salle
d’exposition et tout son matériel de peinture était gardé et caché. Dommage.
D’ailleurs il peignait surtout en plein air et faisait beaucoup de voyages en
Italie ou vers le midi de la France « à cause de la lumière ».
Il y
avait bien sûr aussi beaucoup de tableaux et de dessins des environs de
Belsele, dans lesquels dominaient les poteaux
électriques et de téléphone, mais où il n’y avait jamais de personnages.
« Il faut prendre le moche pour faire du beau » expliquait-il à mon
père, qui appréciait énormément son travail.
Quant à ma tante Yvonne, elle ne supportait pas
les enfants. N’en ayant jamais eu, tout ce que nous avions le droit de faire
quand nous allions en visite était de nous asseoir immobiles sur une chaise
sans rien faire, en silence et surtout sans balancer les pieds. D’habitude
maman nous envoyait vite jouer dehors dans la rue. C’était un endroit
tranquille, un peu en dehors du village, où nous pouvions crier, sauter et
courir à volonté.
Papa n’avait rien d’un artiste, c’était plutôt
un homme d’affaires sérieux qui avait dû prendre ses responsabilités très tôt
(son père était mort quand lui avait quinze ans), mais il aimait beaucoup nous
amener – même très petits – voir des musées et des expositions d’art.
Son peintre préféré était Rik Wouters, un fauviste flamand qui faisait surtout des portraits de sa femme et utilisait sans mesure un rouge flamboyant, profond et magnifique, comme on peut voir ici.
Son peintre préféré était Rik Wouters, un fauviste flamand qui faisait surtout des portraits de sa femme et utilisait sans mesure un rouge flamboyant, profond et magnifique, comme on peut voir ici.
Papa arrivait certainement à nous faire
partager son enthousiasme pour Ensor, Magritte, Permeke et les expressionnistes de Lathem Saint-Martin, et en général pour
tout ce qui est peinture, et nous avons vu plein d’expositions avec lui, avec Martheke
dans sa poussette.
Tout cet enseignement m’a énormément servi quand j’ai
commencé les cours de l’académie des beaux-arts, après avoir pris ma retraite
comme biologiste. Beaucoup de choses que mes profs et mes collègues voyaient en
mauvaises reproductions de 10 centimètres carrés, je les avais vues en direct
et en original. Ce goût de la peinture était partagé par toute la famille, et
tous mes frères et sœurs se sont mis à l’œuvre, qui à l’aquarelle, qui à la
sculpture, qui à la peinture à l’huile ou à l’acrylique, ou un mélange de tout
ça, une fois qu’ils en ont trouvé le temps.
La maison de tante
Mimi
Tante Mimi était probablement ma tante
préférée, et en plus elle était ma marraine (oncle Jacques était mon parrain).
Cela voulait dire en pratique que je recevais à chaque nouvelle année une
cuillère et une fourchette en argent, d’abord les grands couverts jusqu’à
compléter la douzaine, puis les couverts à dessert. Je n'avais pas douze ans et j'aurais bien sûr préféré un autre cadeau. Il n'y avait pas de couteaux,
ça coupe l’amitié. Malheureusement les grands couverts et les couverts à
dessert ne sont pas du même modèle, et le douzième de la série dessert est de
plus grande taille que les onze précédents. Elle a dû confondre ses filleuls. Trouver
les couteaux correspondants longtemps après était évidemment impossible. Les
petites cuillères à café qui venaient de mon parrain étaient encore très
différentes du reste (il en reste deux) et je reçus aussi, pour mes sept ans, un service à moka en
porcelaine de Bavière pour jouer dinette. Je ne l’ai pour ainsi dire jamais
employé et il prend toujours, intact, la poussière dans ma vitrine.
Mis à part ces considérations bassement
matérialistes, tante Mimi m’invitait de temps en temps à passer quelques jours
à Terneuzen avec Tiennot. J’avais le même âge que mon cousin Marc, et la même
chose était vraie pour Luc et Tiennot, de façon qu’on s’entendait à merveille,
malgré les différences entre leur néerlandais et notre flamand.
Le mode de vie
de ma famille hollandaise me semblait très exotique : on mettait les tapis
sur les tables au lieu de les mettre sur
le sol, il n’y avait pas de rideaux aux fenêtres et tous les passants pouvaient
nous voir, le midi on mangeait de la soupe aux pois avec des petites saucisses
dedans et le soir on recevait des tartines avec du « hagelslag », un
granulé de sucre à l’anis de toutes couleurs, qu’on mangeait avec une
fourchette et un couteau. Chaque fois que j’allais la visiter, tante Mimi me
répétait l’histoire de quand j’étais petite et qu’elle m’avait fait goûter au
bon lait des vaches hollandaises. J’avais déclaré fermement : « c’est
aussi bon que de l’eau ». Pour moi c’était un compliment, mais à
l’évidence elle ne l’avait pas pris comme ça.
Avec les garçons de tante Mimi (elle n’avait
qu’une fille, beaucoup plus âgée), on jouait aux cow-boys et aux indiens.
J’avais reçu un beau costume de cowboy à la Saint-Nicolas et c’était l’occasion
de l’utiliser. Mais on allait aussi en excursion vers l’Escaut, qui à Terneuzen
est tellement large qu’on ne voit pas l’autre côté.
Transition
Jusque là j’avais été une petite fille sage qui faisait ce que
disait sa maman : la seule frasque un peu sérieuse fut due à ma curiosité.
J’avais demandé une tente de camping à Saint Nicolas.
J’en avais tellement envie que je ne pouvais plus attendre avant de
vérifier si elle était bien là. Bien sûr je ne croyais plus à Saint Nicolas
depuis longtemps (devant leur prolifération dans les magasins, mes parents
prétendaient que le seul véritable était celui du Bon Marché à Bruxelles), mais
le salon où ils avaient disposé pendant la nuit tous les jouets, pains
d’épices, clémentines, chocolats en forme de Zwarte Piet (Père Fouettard, le
pauvre est maintenant accusé de racisme) et autres speculoos traditionnelles
était fermé à clé et tous les rideaux bien tirés.
Alors je me suis souvenue du carreau cassé entre le bureau et le salon.
Je m’étais arrangée (sans doute en me déclarant malade) pour rester à la maison
pendant que tout le monde était parti à la messe du dimanche. Je passe donc en
rampant par le carreau manquant pour jeter un coup d’œil rapide. Oui, la tente
est là, mais la conscience peu tranquille, j’avoue mon crime aussitôt.
Heureusement, grâce à mon aveu je ne suis pas punie et je plante bientôt ma
tente dans le jardin. Evidemment il n’est pas question de dormir dedans, on est
en décembre.
Cette même tente allait servir un été pour aller camper avec ma cousine
Martine dans le jardin d’oncle René et tante Crico. C’était au tout début des
stations de rock et nous écoutions sur un transistor les émissions de Londres
SW 1, où nous allions bientôt pouvoir découvrir et écouter, plus ou moins en cachette, les Beatles. Désormais, nous étions des adolescentes
et tout allait changer.
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