lundi 13 octobre 2014

Loisirs



Lectures d’enfance

J’appris à lire et à écrire d’abord en néerlandais, maman me donnait des classes avec un cahier où elle avait fait des dessins et écrit le mot en-dessous, en grandes lettres que je devais copier. C’est elle qui nous préparait pour la première année primaire, nous n’allions pas à l’école gardienne. 

Nous apprenions donc les lettres composées : koe, la vache, moe, fatigué, puis stoel, la chaise, bloem, une fleur, boek, un livre, broek, la culotte. 

En troisième année, à huit ans, j’eus enfin la permission de lire en français (l’idée était d’éviter les confusions d'orthographe, chose que j'apprécie), et depuis lors le monde s’ouvrait devant moi. Dans le bas de la grande armoire en chêne du bureau il y avait la collection presque complète de la « bibliothèque rose » avec Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur (1799-1874) comme auteur principale, et malgré leur goût un peu rance je me délectais avec les malheurs de Sophie, les petites filles modèles, les vacances, le bon petit diable, les mémoires d’un âne et le général Dourakine. 


L’histoire illustrée du petit garçon qui ne voulait pas manger sa soupe et qu’on avait dû enterrer dans la soupière, les contes en images et souvent effrayants des frères Grimm ou de Pérault faisaient également partie de notre enfance.

Un peu plus tard, il y avait les grands et lourds volumes de Jules Verne et ses voyages extraordinaires, et les aventures les plus incroyables devenaient réelles. L’île mystérieuse était ma favorite, Matias Sandorf m’initiait à la politique révolutionnaire, Michel Strogoff me faisait pleurer à chaudes larmes et le Voyage autour du Monde en 80 Jours me faisait rêver d'évasions.


Nous dévorions aussi chaque semaine les magazines Journal de Tintin et celui de Spirou, et papa nous achetait les albums Tintin quand ils sortaient, mais il avait toujours le droit de les lire en premier. Les vieux magazines Tintin étaient reliés par années et se trouvaient au grenier, où on relisait avec plaisir, encore et encore, nos bandes dessinées favorites. 


Les Suske et Wiske (Bob et Bobette en français, mais il faut les lire dans l’original pour pouvoir les apprécier) devaient par tradition être offerts par le dernier levé à la saint Silvestre, le 31 décembre. D’habitude papa se levait tard ce jour-là, parce que de toute façon nous n’aurions pas eu d’argent pour acheter l’album en question. C’était comme un jeu où il avait à l’avance décidé de perdre.

J’ai chez moi le Dictionnaire de la Conversation en 22 volumes, publié en 1840, et provenant de la bibliothèque de mes parents, et il me reste beaucoup à lire et à m’instruire là-dedans. J’aime surtout le langage précieux que les auteurs utilisent. Par exemple, les écrivains de mémoires sont pourfendus sans pitié. C’est aussi très instructif à comparer avec le « Dictionnaire des Idées Reçues » de Gustave Flaubert, à peu près de la même époque. 

J’ai toujours été un rat de bibliothèque et je suis capable de lire plusieurs fois le même livre (en laissant passer un peu de temps), j’y retrouve toujours le même plaisir. 

Les spectacles 

Faire partie d’une famille nombreuse nous permettait d’avoir notre propre troupe de théâtre. L’opéra comique « La belle Hélène » en particulier fut tout un succès. Préparé avec beaucoup de soin, sans doute en honneur de papa à la Saint Etienne, et présenté au grenier, il y avait des murailles en carton et un cheval de Troie fait avec des chaises couvertes d’un drap, dont surgissaient tout à coup les grecs, je veux dire Anne. Il y avait même un rideau.


Acteurs et figurants, en robe de nuit (pardon en peplum) ou en tenue de soldat grec ou troyen, chantaient à tue-tête, mais Achille et Priam ne se comprenaient pas (du moins dans la pièce) : les grecs chantaient en français, les troyens en flamand, ou le contraire. Belle allégorie de la guerre. La pièce était magnifique. Je ne sais pas si j’ai bien tenu mon rôle d’Hélène, je n’avais d’ailleurs pas grand-chose à chanter, j’étais trop petite.

Jouer au théâtre ou fabriquer des têtes de marionnettes en papier mâché avec Jacquot était une des occupations préférées en hiver et le grenier était l’endroit idéal pour ce genre d’activités, avec un théâtre de marionnettes installé presque en permanence entre les poutres. Mais l’endroit servait aussi à conserver les poires William et Conférence et les pommes bien rangées sur les claies en bois où elles se ridaient doucement. Tout cela parfumait le grenier d’une façon délicieuse, sauf quand il y avait une pomme pourrie (qui contaminait les autres, d’après le dicton bien connu).

Quand il faisait beau, en été, nous organisions aussi des spectacles de cirque au jardin, où nos petits voisins étaient invités, mais en général les animaux que nous avions patiemment dressés ne voulaient absolument pas obéir devant le public, les blagues des clowns tombaient à plat et les acrobates tombaient tout court. 



Il y eut même un défilé de modes dans le garage (il devait pleuvoir ce jour-là) avec les costumes historiques des grands personnages de l’histoire et un narrateur qui faisait des commentaires humoristiques. Du moins c’était l’intention, mais le public n’a pas beaucoup ri. La comédie est décidément moins facile que la tragédie.



En faisant le ménage


Evidemment il n’y avait pas tous les jours une pièce de théâtre. Une partie de nos journées, quand nous n’étions pas en classe, se passait à la cuisine, soit à aider Maria à écosser les petits pois ou gratter les carottes, soit à essuyer la vaisselle de notre nombreuse famille ou à repasser les serviettes ou les mouchoirs (c’est-à-dire, les choses plates, carrées et donc faciles).
 



Maria faisait marcher son poste de radio à tout casser et nous chantions par cœur tous les refrains ultra-sentimentaux qu’elle écoutait à longueur de journée. Une des histoires les plus tragiques était celle d’une petite fille qui avait imploré pendant plusieurs strophes ses parents (très pauvres évidemment) de lui acheter un ballon. Finalement elle avait obtenu ce qu’elle voulait tant, mais en allant jouer dans la rue avec son tout nouveau ballon elle s’était fait écraser par une voiture. Snif snif… Les autres chansonnettes concernaient des soldats qui faisaient la garde à la caserne en pensant à leur fiancée et autres rengaines sirupeuses dans le genre.


Maman cuisinait très bien et nous avons tous appris ses recettes, y compris les garçons. Certaines venaient de générations lointaines de cuisinières, écrites à la main dans un cahier à couverture de moleskine noire et parlaient de six douzaines d’œufs, de litres de crème et de kilos de beurre, chose qu’on n’imaginerait plus pouvoir digérer maintenant. 

Dans cette grande cuisine, les légumes venaient pour la plupart du potager, et le boulanger et le boucher livraient à domicile. Pour l’épicerie, on pouvait aller à pied au « Zonneke » pour les choses assez courantes ou bien en vélo au « Raap ». Maman avait un vélo avec deux grands sacs pendus de chaque côté du porte-bagage et allait en bicyclette au marché du jeudi, sur la Grand-Place de Saint Nicolas. Le porte-bagage servait aussi à transporter les enfants, avec un pied dans chaque sac. 

Nous avions d’ailleurs tous des vélos, véhicule indispensable pour aller à l’école, chez les guides ou à la piscine.

 

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