mercredi 22 avril 2015

La décade de l'écologie

Des institutions


Pendant les années 1990, les progrès pour l’écologie en Bolivie allaient être spectaculaires. Jaime Paz crée un Ministère pour l’Environnement et le Développement Durable et un Fonds National pour l’Environnement (FONAMA). Il y avait déjà un Secrétariat Général, créé par Victor Paz, qui devient alors un Ministère. 

La Ligue de Défense de l’Environnement LIDEMA devient un interlocuteur important, non seulement pour l’état et les organisations écologistes nationales, mais encore pour la coopération internationale et les ONGs et réseaux mondiaux pour la protection de la planète. 


FONAMA, créé en 1990 et ratifié en 1992 par la Loi de l’Environnement, avait reçu une donation importante de l’Initiative pour les Amériques du président Georges Bush père, trente millions de dollars assignés à la suite du pardon d’une dette bilatérale de 400 millions de dollars. Ce fonds allait financer pendant plusieurs années de très nombreux projets pour quatre catégories de bénéficiaires : les ONGs qui s’occupaient du développement rural, celles qui travaillaient pour la conservation de l’environnement, les groupes de base organisés (indigènes, paysans, associations de citoyens) et les institutions dédiées à la recherche. Les premières années d’activité tout fonctionnait très bien.

Je faisais partie du premier comité d’évaluation de projets et nous décidions l’assignation des fonds de donation après avoir lu et discuté des montagnes de papier. Les réunions se faisaient deux fois par an, chaque fois dans une région différente, où nous allions également observer les projets en cours. Malheureusement, FONAMA se politisa petit à petit au cours des années et en 1998, toute crédibilité perdue, elle fut intervenue et privatisée, pour former la Fondation privée Puma, beaucoup moins influente.  

La première marche des indigènes

L’évènement marquant de 1990 fut probablement la Marche pour le Territoire et la Dignité, organisée par les indigènes de l’Orient, qui exigeaient le droit à leurs terres ancestrales. Partie de Trinidad, la marche avait traversé les savanes du Beni, les forêts du Chapare puis les montagnes des Yungas, pendant des centaines de kilomètres.
Jaime Paz n’attendit pas qu’elle arrive à La Paz pour réagir, mais alla à la rencontre des marcheurs et leur promit de l’aide et une réponse favorable à leurs demandes. La marche fut ensuite reçue en triomphe par les citadins, et le président allait créer au cours des années suivantes, en prenant son temps toutefois, 16 territoires et un Fonds de Développement Indigène, géré par ceux-ci.

De nouvelles lois

Jaime Paz décréta également une Pause Écologique, interdisant l’exploitation commerciale des forêts, la chasse et la pêche par des tiers (elles restaient permises pour ceuz qui en dépendaient pour leur survie), en attendant de compter avec les lois nécessaires pour préserver l’environnement et mettre en place les conditions d’un développement plus durable. Mais cette espèce de trêve n’était pas souvent respectée.

Bientôt, les discussions allaient  battre leur plein pour la rédaction et l’approbation par le Congrès de la loi N° 1333, dite la Loi de l’Environnement, qui allait être approuvée le 27 avril 1992, à temps pour le Sommet de Rio. L’élaboration de la loi avait demandé de grands efforts de concertation avec les différents partis politiques, mais également avec tous les secteurs économiques concernés : les séminaires étaient interminables, les discussions avec les mineurs, les industriels, les propriétaires terriens, les entreprises forestières et autres, parfois très hostiles. Par contre les paysans et les indigènes étaient nos alliés.



La société civile participait activement dans les discussions, où LIDEMA occupait un rôle protagoniste et où les membres de l’Institut d’Ecologie intervenaient comme conseillers scientifiques. La majeure partie de toute cette effervescence était financée par la coopération internationale, mais les initiatives étaient boliviennes.

La loi allait pouvoir servir de base à d’autres lois complémentaires et des règlements dérivés, comme la Loi Forestière et la Loi de l’Institut de Réforme Agraire, en 1996. Mais pendant la même période, de nouvelles lois pour l’exploitation minière, des hydrocarbures et pour la production d’électricité étaient bien trop permissives et contredisaient totalement la Loi de l’Environnement.

Il me faut expliquer que l’activité minière en Bolivie comprend aussi bien de grandes entreprises avec des capitaux internationaux, que des mines exploitées de façon artisanale par les petits mineurs et « coopératives de mineurs », qui sont en fait de petites entreprises qui ne respectent ni les lois du travail, ni celles de protection des enfants et adolescents, et encore moins les lois contre la contamination minière. Dans beaucoup de coopératives et des petites entreprises minières, la technologie d’exploitation du minerai est la même qu’au début du vingtième siècle, ou même pendant la colonisation espagnole.

Les grandes mines, dont certaines travaillent à ciel ouvert, contaminent presque autant, mais elles emploient des technologies plus modernes, traitent leurs déchets jusqu’à un certain point (quand les digues de contention ne débordent pas), n’emploient pas d’enfants dans la mine et paient des impôts, ce que les autres ne font pas ou à peine.

Les mines d’or sont de loin les plus polluantes. Toutes les rivières boliviennes sont contaminées, les lacs Titicaca et Poopo également.

Le sommet de Rio

Le pays préparait, en même temps que la Loi de l’Environnement, la Réunion des Nations Unies de Rio, au Brésil, pour juin 1992. La Bolivie eut une participation très active au Sommet de Rio, avec une délégation nombreuse pour les réunions officielles entre états, mais aussi des représentants de diverses ONGs qui prenaient part aux activités parallèles. Mais je n’y suis pas allée. 

Le Sommet pour la Terre allait réunir à Rio 178 délégations de pays, y compris 116 chefs d’état, tandis qu’au Sommet parallèle, le Forum global, allaient assister plus de 17.000 personnes de toutes tendances et pour tous les goûts, y compris dans leur habillement – ou leur manque d’habillement. 

Le Sommet de 1992 allait adopter un plan d’action, l’Agenda 21, avec 2500 recommandations concrètes, et accepter quatre protocoles : La convention pour le changement climatique, la convention pour la protection de la biodiversité, la déclaration de principes sur les forêts et la convention pour la lutte contre la désertification. La convention pour le changement climatique allait être signée sous le nom de Protocole de Kyoto en 1997. 

Tous ces documents allaient servir de base pour la politique de conservation des années suivantes en Bolivie. Pourtant, au bout de quelques années, le découragement allait prévaloir. 

Je me limite à un seul exemple. Une tentative pour protéger les forêts du Parc National Noel Kempff avec le financement de bons de carbone échoua, malgré des négociations très avancées, parce que quelque part (à Kyoto ?) la décision fut prise que ces bons ne pouvaient financer que de nouvelles plantations, et que le fait d’éviter la coupe et les incendies dans une forêt vierge ne comptait pas. 

Lorsque les Nations Unies changèrent finalement d’avis, il était trop tard, la politique bolivienne était devenue toute autre, et se limitait à des discours creux à la gloire de la Pachamama, tout en refusant le principe de compensation des émissions de gaz responsables du réchauffement global, parce que c’était une idée capitaliste.

Les Sommets allaient se suivre et se ressembler : Rio+10, à Johannesburg, puis Rio+20, au Brésil, allaient être des déceptions, au point que les écologistes remplaçaient les signes plus par des signes moins. Très peu d’avances se faisaient à niveau mondial, tandis que beaucoup de pays cherchaient des excuses pour ne rien faire et d’autres, comme les Etats Unis et la Chine, refusaient de ratifier les conventions accordées.


Un travail en équipe

En Bolivie, les résultats de toutes ces activités étaient pourtant visibles : un système de 21 parcs nationaux, couvrant 17 millions d’hectares, soit 18% du pays, était mis en place et financé, la production d’un million d’hectares de forêt avait été certifié en 1993 par la International Tropical Timber Organization, la Convention de Rio sur la Biodiversité avait été ratifiée en 1994, devenant loi de la République, l’Agenda 21 des Nations Unies, longuement discuté, servait de base aux initiatives. 

Le Ministère de l’Environnement (qui allait changer de nom à chaque nouveau gouvernement) élaborait, avec la participation de spécialistes, la Stratégie pour la Biodiversité et le Plan National pour l’Environnement (PAAB, Plan de Acción Ambiental para Bolivia, approuvé en 1993), qui cherchaient à réduire la pauvreté au moyen d’un développement durable et participatif. 

Les équipes de travail comprenaient aussi bien les personnes qui travaillaient au ministère, que les chercheurs des universités, les membres des nombreuses organisations qui s’occupaient de conservation et les représentants de la coopération internationale. Ils sont trop nombreux pour pouvoir les nommer sans en oublier un grand nombre. Je me contenterai de mettre la photo de quelques-uns qui sont venus partager un barbecue un samedi dans notre jardin et qui, eux, appartiennent tous au département de biologie.


Des livres, encore des livres

Déjà depuis 1982, l’Institut d’Ecologie publiait une revue scientifique semestrielle appelée « Ecologie en Bolivie », qui demandait beaucoup de travail à Erika, surtout quand il s’agissait de persuader les auteurs à rédiger les résultats de leurs travaux et à les remettre à temps.  Je l’aidais avec l’édition et les corrections, et on travaillait toutes les deux avec les imprimeurs. J’aimais bien l’ambiance des ateliers. Cette revue se publie toujours assez régulièrement.



Dans les années suivantes, la production bolivienne en relation avec la science de l’environnement allait croître de façon impressionnante. Dans presque tous les livres de l’époque j’étais mentionnée (ou parfois pas) comme éditeur, traductrice ou correctrice de style. Ma secrétaire, Virginia Padilla, s’occupait de passer les corrections à l’ordinateur, avec souvent de longues listes de noms scientifiques en latin auxquelles elle donnait tous ses soins. 

J’avais aussi écrit deux livres didactiques moi-même : un « Manuel d’écologie » en 1988 et « Bolivie : Environnement et écologie appliquée » en 1990. Les deux livres allaient être actualisés et réédités, en 1994 pour le premier et 2005 pour l’autre. Tous les livres se présentaient lors d’un acte public, suivi de petits canapés et d’un verre de vin. 

Une autre activité importante était sans doute la préparation de matériel scolaire, un projet que l’UNICEF avait lancé comme préparation pour la réforme éducative. Nous avions formé une petite équipe sous la direction de Victor Hugo Cárdenas, qui allait devenir vice président de la République en 1993-1997, et nous travaillions avec María, ma collègue à l’Institut d’Ecologie, pour élaborer des programmes et des textes pour les écoles primaires multigrades, c'est-à-dire les petites écoles rurales où un seul professeur a plusieurs cours à sa charge.

Gonzalo Sanchez de Lozada et Victor Hugo Cardenas allaient gagner les élections présidentielles en 1993 et lancer la réforme éducative en 1995. Victor Hugo était le premier vice président d'origine aymara.
Une partie de ce matériel fut pris en compte, encore que les enseignants y mirent la main et modifièrent presque tout à leur propre goût et pour changer le moins de choses possibles à leurs habitudes. Malgré leurs affinités syndicales trotskistes, les profs d'école sont le secteur le plus conservateur du pays.


Juste une petite anecdote pour finir : à l’époque le ministère d’éducation occupait un vieil immeuble à la Place Venezuela (actuellement le Registre civil). La direction d’éducation urbaine était au quatrième étage et celle d’éducation rurale au cinquième. Mais pour communiquer entre eux, ils m’envoyaient les papiers à Cota Cota, à 16 km de là, pour que je passe le message : ils ne se parlaient pas.







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