vendredi 10 avril 2015

Fin de siècle


(En)jeux politiques

En 1989, à la fin du mandat présidentiel de Victor Paz Estenssoro, le général Hugo Banzer était persuadé qu’il allait gagner les élections nationales, à cause de l’accord préalable souscrit avec le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (MNR) en 1985. 

A cette époque, l’intention des deux partis, l’Action Démocratique Nationaliste (ADN) de Banzer et le MNR de Victor Paz, avait été de collaborer pour mener à bon port le plan de stabilisation de l’inflation, proposé par ce dernier, et faire fonctionner le décret 21060.

L’accord avait permis à Victor Paz d’être élu par le Congrès avec l’appui de l’ADN en 1985, et l’ADN s’attendait, à titre de compensation, à ce que son candidat soit gagnant aux élections suivantes, quatre ans plus tard. 

Le candidat du MNR, Gonzalo Sánchez de Lozada (Goni), ne se sentait pourtant pas lié par cet accord, et fit à la télé la déclaration grammaticalement incorrecte : « Mis manos ya no están atados ». Goni parlait mieux l’anglais que l’espagnol. « Mano » (la main) est un nom féminin malgré son o final.

De fait, les résultats obtenus par les deux partis en 1989 étaient proches : 23,07% des votes pour le MNR et 22,70% pour l’ADN. Le Mouvement de Gauche Révolutionnaire (MIR) n’était pas très loin, avec 19,64%. 

D’après un de ses dirigeants, Oscar Eid, on pouvait même dire qu’ils étaient tous les trois ex aequo (« triple empate »). La petite histoire raconte que les trois candidats étaient allés implorer la vierge de Urkupiña, un des pèlerinages les plus fameux en Bolivie, et qu’elle avait exaucé tous leurs vœux : Goni voulait gagner les élections, Jaime voulait être président et Banzer avait demandé de pouvoir gouverner la Bolivie.

En effet, après de longues discussions, le MIR et l’ADN signent un « Accord patriotique » et le candidat du MIR, Jaime Paz Zamora, pourtant arrivé en troisième place, est élu président par le Congrès, et déclare « qu’il s’est vu obligé à croiser des rivières de sang »,  – le sang de ses propres partisans, martyrisés et tués pendant la dictature de Banzer de 1971-1979 –, après quoi les ministères et vice ministères sont distribués à parts égales entre les deux partis. 

Ce système d’élection indirecte fut bien sûr fortement critiqué et a été éliminé depuis, d’abord en limitant le choix du Congrès aux deux gagnants, puis en instaurant un deuxième tour aux élections. Beaucoup pensent que la perte de prestige des partis politiques, qui par après allait avoir des graves conséquences pour la démocratie, commence avec l’accord « contre nature » entre ces deux partis, situés aux antipodes idéologiques.

Goni regrettait amèrement  ses taquineries habituelles, par lesquelles il avait entre autres traité Hugo Banzer de « vieux dictateur » et Jaime Paz de « guérrillero retraité » et faisait distribuer à ses partisans des stickers à coller sur leurs voitures : « Ce n’est pas ma faute, moi j’ai voté pour Goni ». 

Sept ans après la défaite des régimes militaires en 1982, la démocratie semblait être définitivement acquise en Bolivie. La situation économique elle aussi s’était notablement améliorée et l’hyperinflation de 1985 n’était plus qu’un mauvais souvenir. La politique de stabilisation avait été très dure, mais elle avait fonctionné. 

Des récalcitrants

Cependant, au Pérou, la guérilla maoïste de Sentier Lumineux et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amaru commettaient des atrocités, les forces armées péruviennes n’étaient pas en reste. Après avoir sévi cruellement à la campagne, la guérilla devenait urbaine et sévissait dans les quartiers pauvres de Lima. 

Même en Bolivie, il y a des séquestres au début des années 90, comme celui de l’enlèvement de l’homme d’affaires Jorge Lonsdale, accompagné  d’une demande de rançon de 6 millions de dollars, perpétré par le Commando Nestor Paz Zamora.
Ce groupe portait le nom de Nestor Paz, un frère du président Jaime Paz, mort pendant la guérilla de Teoponte (fin 1970). La guérilla, de style guévariste, avait été lancée par un groupe d’étudiants universitaires idéalistes qui avait été rapidement vaincu, et plutôt par la faim et l’improvisation que par les armes. 

Jaime Paz n’appréciait pas du tout l’utilisation du nom de son frère par ce groupe de séquestreurs. Plusieurs mois plus tard, Jorge Lonsdale et ses séquestreurs allaient être tués, suite à l’intervention maladroite de la police pour essayer de le libérer.

Un autre groupe terroriste, l’Armée Révolutionnaire ou Ejército Guerrillero Tupac Katari (EGTK), proche idéologiquement du Tupac Amaru péruvien, faisait exploser des pylônes de transmission électrique et volait l’argent destiné aux salaires de l’université San Simon de Cochabamba. Le dirigeant paysan Felipe Quispe, Alvaro García Linera (actuel vice président) et la mexicaine Raquel Gutierrez (compagne de García Linera à l’époque) sont arrêtés, puis relâchés cinq ans après pour cause de retardation de justice.
 
Allons voir ailleurs… 

L’approche d’un nouveau siècle (et d’un nouveau millénaire) semblait apporter une frénésie spéciale à tous les évènements mondiaux.  C’était comme si l’humanité essayait de régler ses comptes avec le siècle finissant, de mettre ses affaires en ordre avant d’en commencer un nouveau. Un peu comme préparer les résolutions du premier jour de l’an, dont tout le monde sait qu’elles ne dureront pas longtemps… 
Et en effet, l’Union Soviétique tombait, le mur de Berlin s’était effondré le 9 novembre 1989, puis Prague s’était libérée le 24 du même mois, marquant la fin de la guerre froide. L’année précédente, le référendum au Chili avait dit non à Pinochet. D’ailleurs un peu partout dans le monde on voyait le départ des « affreux », avec l’exécution des Ceausescu, l’exil d’Imelda Marcos et ses nombreuses chaussures, et la mort de l’Ayatollah Khomeiny. 

D’autre part, Nelson Mandela avait été libéré le 11 février 1990 et serait bientôt élu président en Afrique du Sud. La liberté faisait des progrès, mais pas partout.

La place Tienanmen à Pékin, avec ses journaux muraux, sa statue de la liberté en plâtre érigée par les manifestants, l’étudiant fermement planté devant la procession de chars de l’armée rouge et le massacre du 3 juin 1989 avec ses 3000 morts, restent dans toutes les mémoires. Au Cambodge, Norodom Sihanouk essaie de reconstruire son pays, dévasté par les Khmers Rouges, pendant que Pol Pot se cache toujours quelque part dans la forêt. 
Les retombées atomiques de Tchernobyl (26 avril 1986) continuent à empoisonner l’Europe, qui ne comprendra que lentement la gravité de l’accident, dont l’Union Soviétique avait caché pendant longtemps les horribles conséquences. 

L’Irak envahit le Kuweit et, avant de se retirer devant l’avancée de l’opération américaine « Desert Storm », Saddam incendie plus de 600 puits pétroliers. Yeltsin remplace Gorbachov en Russie, bientôt l’Union Soviétique cesse d’exister. Le 3 novembre 1992, Bill Clinton gagne les élections présidentielles aux Etats Unis et remplace Georges Bush Senior. La guerre civile au Salvador qui termine enfin en 1992 aura causé 70.000 morts dans ce minuscule pays. 

La guerre des Balkans commence.  En 1994, ce sera le massacre d’un demi-million d’êtres humains au Ruanda. Famine en Somalie, révolte en Tchétchénie, insurrection de Chiapas, tremblement de terre à Kobe, attaque des talibans contre Kabul… ouf, éteignons un moment la télévision.

Et à propos, comment va la famille ?


Pendant ce temps, les enfants grandissaient, faisaient des copains, fêtaient des anniversaires successifs et très vite allaient arriver à l’adolescence. Comme j’avais de plus en plus de travail, je n’avais pas toujours le temps de surveiller les devoirs ni de les amener à toutes sortes de cours de piano ou de karaté, mais il y eût quelques enthousiasmes passagers (jamais pour le piano). Par contre les enfants avaient l’air d’apprécier leur liberté et préféraient – d’après ce qu’Esteban me dit plus tard – ne pas avoir leur mère dans le dos tout le temps.  
 
Quant au ménage et à la cuisine, j’avais la chance de pouvoir compter sur une Lucy, une Vicky, une « Isabel grande » ou une Bernardina qui s’en occupaient à ma place. Je leur en suis très reconnaissante.
Anniversaire d'Esteban (10 ans). La fête s'est terminée à 11 heures du soir, les enfants se racontaient les histoires de terreur qu'ils avaient inventées, à la lueur d'une bougie.
Anniversaire de Joaquin (5 ans) avec déguisements improvisés.
Adriana et Isabel (au milieu) avec leurs amies du lycée
Isabel allait terminer l’école en 1986, présenter le bac français à Lima et partir à l’université de La Plata en Argentine pour commencer des cours de chimie à l’université. Adriana passait son bac en 1989 et  après un court voyage organisé par l’école en France et en Belgique, alla s’installer chez sa grand-mère paternelle, à Cochabamba, pour se lancer dans l’agronomie. Il nous restait donc seulement les deux garçons. Mais peut-être un jour  vous raconteront-ils eux-mêmes leurs aventures, je n’en connais que ce qu’ils ont bien voulu m’en dire. 

Juan Antonio enseignait toujours à l’Université Catholique et voyageait beaucoup pour participer à des réunions d’économistes, un peu partout dans le monde. En Bolivie, il travaillait à l’élaboration de plans économiques et de stratégies de développement pour le pays, comme la « Estrategia de Desarrollo Económico y Social 1989-2000», puis à mettre sous une forme présentable le « Plan de Todos »  qui recueillait les idées de Goni et son équipe et qui allait servir de programme de gouvernement aux élections de 1993. 
Cette année et la suivante il allait participer à temps partiel au Directoire de la Banque Centrale de Bolivie puis, en 1995, être nommé président – d’abord intérimaire et par après titulaire – de la Banque, avec le vote des deux tiers du Congrès. Il continuait pourtant à donner son cours à l’université, très tôt le matin.









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