mardi 4 août 2015

Virages



Une nouvelle Constitution

A la suite des évènements de 2003, Carlos Mesa s´était engagé à réformer la constitution politique du pays, mais n’avait pas eu le temps ni les appuis nécessaires pour le faire pendant son gouvernement. Eduardo Rodriguez à son tour s’était contenté d’organiser les élections, comme le voulait son mandat. Ce fut donc le MAS qui organisa l’élection d´une Assemblée Constituante pour refonder le pays. Désormais la Bolivie ne serait plus une République, mais un « État plurinational ».  
Román Loayza, dans le feu de son discours, allait tomber de la passerelle dans la fosse d’orquestre du théâtre de Sucre et se blesser grièvement à la tête. Il reviendrait, beaucoup plus conciliant, après un long séjour à l’hôpital.

Les 255 délégués à l’Assemblée Constituante furent élus le 2 juillet 2006. Le Mouvement vers le Socialisme (MAS) en comptait 139, soit 50,72 % des voix, PODEMOS (de l’ex-président Tuto Quiroga), 50, et Unité Nationale, de Samuel Doria Medina, 7. C’était une déception pour le MAS, qui avait espéré compter avec les deux tiers des constituants. Du coup, ses délégués voulaient voter la nouvelle constitution à la majorité simple, laissant de côté les deux tiers exigés par la loi approuvée en mars.

L’Assemblée commença ses réunions le 6 août 2006. On avait adapté le Théâtre Grand Maréchal d’Ayacucho à Sucre pour y tenir les sessions plénières, qui s’enlisèrent dans des discussions interminables sur le règlement des débats. L’autre discussion était de savoir si l’assemblée était fondatrice, ayant le pouvoir d’inventer un nouveau pays, ou s’il s’agissait juste d’améliorer ce qui existait. Il fallut neuf mois avant de commencer à discuter le premier article du projet de constitution. 

Tableau de Ejti Stih, représentant la présidente de l’Assamblée Constituante, Syvia Lazarte, conseillée par le vice président de la République, Alvaro García Linera.

Les choses empirèrent quand la ville de Sucre, toujours capitale officielle de la Bolivie, mais qui n’est plus le siège du gouvernement depuis la guerre fédérale de 1900, commença à exiger de retrouver son statut du 19e siècle. Bien sûr La Paz s’opposait à cette ambition, et organisa une réunion monstre avec la consigne « La sede no se mueve » – le siège (du pouvoir) ne bouge pas. 
 
On déménage la capitale - A Sucre? - Non, au 19e siècle.
 D’autres rassemblements immenses avaient eu lieu à Santa Cruz et dans les autres villes de l’orient du pays, pour exiger l’autonomie de leur département, déjà approuvé par referendum. Cette lutte allait durer des années et opposer l’orient et l’occident du pays. 

Le 23 novembre 2007, les pressions de la foule sur le théâtre de Sucre étaient devenues tellement fortes et violentes que les sessions furent déplacées vers la caserne de la Glorieta, hors de la ville et sous protection militaire. Trois jeunes de Sucre sont morts ce jour-là à cause de la répression organisée par le ministre Rada. 

Pour ou contre Sucre capitale de Bolivie, pour ou contre l’autonomie des départements.

Le comble de l’ironie fut quand les policiers de Sucre déclarèrent qu’il n’y avait plus assez de garanties pour leur propre sécurité, et qu’ils avaient quitté la ville tous ensemble, en laissant les habitants à leur sort et les portes de la prison ouvertes. Les prisonniers, après avoir pris l’air et visité leur famille, allaient revenir d’eux-mêmes à leurs cellules le lendemain. Les constituants durent s’enfuir de la caserne de la Glorieta en suivant le lit sec d’une rivière.

Le 10 décembre 2007, cette fois à Oruro, la nouvelle constitution politique fut finalement approuvée en détail pendant une réunion qui dura 16 heures, en absence de l’opposition qu’on avait « oublié » de convoquer. Cela se fit par un exercice de gymnastique synchronisée, où tous levaient la main, après la lecture accélérée de chaque article. 


Les péripéties par lesquelles sont passés les membres de l’Assemblée Constituante à Sucre, puis à La Glorieta et finalement à Oruro, devraient servir à faire un film d’aventures et de suspense un de ces jours.

Le texte de plus de 400 articles fut ensuite modifié par une commission spéciale du Sénat pour éviter les pires erreurs et éliminer les nombreuses contradictions, et finalement approuvé par référendum le 25 janvier 2009. Nous n’avons pas pu voter, parce que nous étions en visite à l’université de Columbia à New York à ce moment.




De toute façon, la nouvelle constitution ne s’applique que quand elle arrange le gouvernement. Evo a d’ailleurs déclaré que « s’il veut faire quelque chose qui n’est pas permis par les lois, il le fait quand même et puis ses avocats n’ont qu’à arranger les choses après, ils ont étudié pour ça ».

Le MAS en action

Le gouvernement massiste pratique depuis le début la disqualification permanente et la persécution judiciaire de ses adversaires, que ce soit parce qu’ils avaient joué un rôle dans une gestion antérieure et étaient donc considérés comme des « néolibéraux », ou parce qu’ils avaient une possibilité de se présenter comme des rivaux aux élections. La justice a été ainsi complètement soumise par l’exécutif et est manipulée par la vice-présidence pour servir à cette chasse à l’homme. 

 

Les mises en scène (tragiques, avec des morts) comme celle de Porvenir au département de Pando ou celle de l’hôtel Las Américas a Santa Cruz, la propagande incessante et les extorsions des fonctionnaires judiciaires et du Ministère du Gouvernement s’utilisent également pour annuler d’éventuels adversaires. Comme on dit dans ces circonstances, ce n’est pas dans le cadre de ce récit que je pourrai m’étendre sur les détails de ces histoires sordides.  

Le rêve du MAS est de se transformer en parti unique, de contrôler plus complètement la presse et de museler jusqu’à ses propres partisans, déclarant qu’ils n’ont pas le droit d’être « libre-penseurs », juste de baisser la tête et lever la main tous ensemble quand on leur demande d’approuver quelque chose. D’autre part, les abus de pouvoir, le gaspillage et la corruption ont caractérisé le gouvernement du MAS pendant ces dix années.




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