Les réformes de Goni
Le 7 août 1993, Gonzalo Sánchez de Lozada était
devenu président, accompagné à la vice-présidence par Victor Hugo Cárdenas.
Parmi les invités à la transmission de pouvoir figurait entre autres le
président Fidel Castro, qui eût un succès immense à La Paz. Les gens se
rassemblaient devant son hôtel comme s’il s’agissait d’une étoile de rock et le
soir, pendant la réception, toute la bourgeoisie de la ville fit la queue
pendant des heures pour pouvoir lui serrer la pince un instant.
Gonzalo Sánchez de Lozada, dit Goni, basait son
mandat sur un programme ambitieux, le « Plan de Tous », qui proposait
des réformes importantes : la capitalisation des entreprises d’état, la
réforme éducative, la participation populaire et la réforme des pensions de
vieillesse. Il avait également promis pendant sa campagne électorale la
création de 500.000 nouveaux emplois, ce qui était pour le moins exagéré. Il
faut que j’explique tout ça rapidement.
La capitalisation était en fait un mécanisme compliqué de privatisation graduelle, qui apportait des capitaux frais aux entreprises d’état. Plusieurs d’entre elles étaient déficitaires, d’autres moins. Pour les chemins de fer (ENFE) et la ligne aérienne LAB ce fut un désastre, ces compagnies ayant été littéralement démantelées et vendues en pièces détachées après leur capitalisation. Les hydrocarbures, l’électricité et les télécommunications eurent un meilleur sort.
La participation
populaire distribuait des ressources financières aux municipalités, les
municipalités rurales surtout, qui n’avaient jamais reçu que des miettes – ou
rien du tout – jusque là. De nouveaux leaders locaux apparaissaient en
conséquence, pour gérer ces apports, avec un processus d’apprentissage
intéressant. Au début, les dépenses consistaient un peu partout à acheter une
4x4 pour le maire et à embellir la place du village en y mettant du ciment.
Mais bientôt d’autres besoins plus importants allaient être couverts.
Quant au système
de pensions, il était en faillite depuis des années et la réforme introduisait
la capitalisation individuelle, tout en gardant le vieux système solidaire pour
ceux qui en faisaient déjà partie ou étaient sur le point de prendre leur retraite.
Ce fut un énorme trou dans le budget de l’état et pendant longtemps il y aurait des problèmes avec la « génération sandwich » qui se trouvait prise entre les deux systèmes. D’autre part, Goni avait instauré le « bonosol », une rente mensuelle à laquelle avaient droit tous les boliviens de 60 ans et plus, et qui provenait des gains de la capitalisation.
La réforme éducative introduisait des changements importants dans les écoles, surtout dans les méthodes d’apprentissage qu’en ce qui concerne les contenus du programme. En premier lieu, il fallait descendre le maître de son podium et permettre aux élèves de participer et donner leur opinion au lieu de se limiter à répéter les leçons. Il fallait aussi améliorer le niveau éducatif, adapter l’enseignement aux différentes régions du pays et commencer la lecture et l’écriture dans la langue maternelle de l’enfant.
Victor Hugo Cardenas avait énormément d’expérience pour cela et ses idées furent mises en pratique pour ces réformes. Malheureusement celles-ci se limitèrent à l’école primaire parce qu’elles étaient introduites de façon graduelle, d’année en année. L’école secondaire allait se maintenir à peu près avec les mêmes méthodes héritées de la mission belge du professeur Rouma, en 1911, lorsque l’école normale de Sucre fut fondée.
Le syndicat des maîtres d’école s’opposait bien sûr à
ces réformes, comme à toutes les réformes qui pouvaient toucher à leurs petits privilèges,
et parlaient des « lois maudites » (ils n’étaient pas absolument contre la
participation populaire, mais bien contre la décentralisation).
Autres
évènements
L’année 1994 fut marquée par la participation de la
sélection bolivienne au Mondial de foot aux Etats Unis. Dès le premier match de
l’évènement, la Bolivie fut balayée par l’Allemagne, mais quel bonheur d’avoir
été du moins sélectionnés, et d’avoir participé avec la danse des
« caporales » à l’inauguration !
Un autre évènement notable se produit le 26 décembre 1994, lorsqu’Oscar Eid Franco, l’opérateur politique de Jaime Paz Zamora, fut enfermé à la prison de San Pedro, accusé de liens avec le trafiquant de cocaïne Oso Chavarría, qui aurait appuyé la campagne électorale du MIR. Jaime déclara que lui-même avait « commis des erreurs mais pas de délits ». Il semble bien qu’Oscar accepta de jouer le rôle de victime expiatoire pour son chef et son parti politique. Quatre ans plus tard, et onze jours avant sa libération prévue, la cour suprême – un peu tard − le déclara innocent. Les autres « erreurs » furent balayées sous le tapis.
Année 1995
Juan Antonio avait été nommé président à la
Banque Centrale en 1995, mais j’ai déjà raconté les succès et ses déboires de
cette période au début de mon histoire et je ne vais pas les répéter ici. Avec
son équipe de collaborateurs, tous masculins au début (mais ça allait bientôt
changer), il allait moderniser le travail de la banque, obtenir son
indépendance politique et en faire un modèle de gestion publique. La première
année fut marquée par des crises de banques : Banco Sur, Banco Cochabamba
et la section off-shore illégale de la Banque Bolivienne-Américaine BBA. La
gestion de Juan Antonio allait se maintenir jusqu’en mai 2006, sous six
gouvernements successifs.
La même année 1995 le Plan National d’éradication de
la coca supprimait 5.500 hectares de cultures illégales et lançait les
hostilités avec Evo Morales et son mentor, Filemón Escobar, qui défendaient les
producteurs. Peu à peu, la région du Chapare se convertit en territoire
autonome des « cocaleros ».
A la Toussaint, le premier novembre, Samuel Doria
Medina est enlevé et retenu par un groupe terroriste dans une petite pièce
exigüe et avec les yeux bandés pendant toute sa captivité. Il est finalement
relâché contre rançon le 15 décembre. L’argent servira à organiser l’attaque
terroriste contre l’ambassade du Japon à Lima l’année suivante.
Le 26 novembre 1995 Max Fernández, politicien
populiste allié de Goni et magnat de la bière, meurt dans un accident d’avion. Carlos
Palenque, présentateur de TV sous le nom du compère, mourra le 8 mars 1997. Tous deux sont devenus
objet de la ferveur et la dévotion populaire qui les voit comme des saints et d´posent
des fleurs sur leurs tombes, implorant leur protection pour la réussite de
leurs affaires.
Changement
d’orientation à l’université
A l’université, la médiocrité et la politisation
prenaient lentement le dessus. A partir de 1993, la GTZ insistait que faire de
la recherche ne devait pas prendre tout notre temps et que, pour que l’Institut
d’Ecologie puisse survivre, – sans leur aide s’entend – nous devions prendre
des mesures pour assurer notre survie. Il est vrai que la coopération allemande
finançait une bonne partie de nos activités depuis 14 ans.
En premier lieu, il faudrait consacrer beaucoup plus
d’efforts aux activités de consulting et à faire des travaux pour des
« clients », par exemple en étudiant l’impact des forages pétroliers
ou de la construction de routes. Un laboratoire d’analyse fur construit avec un
gros financement de la Banque Mondiale, pour appuyer ces activités
« commerciales ».
Personnellement, je n’étais pas très d’accord avec la décision d’abandonner la recherche fondamentale mais plusieurs de mes collègues faisaient déjà ce travail de façon non officielle, ce qui leur permettait d’obtenir un supplément de salaire tout en utilisant les installations et le temps de travail de l’institut.
Personnellement, je n’étais pas très d’accord avec la décision d’abandonner la recherche fondamentale mais plusieurs de mes collègues faisaient déjà ce travail de façon non officielle, ce qui leur permettait d’obtenir un supplément de salaire tout en utilisant les installations et le temps de travail de l’institut.
D’autre part, il s’agissait de créer une fondation
pour capter des financements externes qui permettraient d’exécuter des projets
importants. FUND-ECO commença dans l’enthousiasme général et obtint des fonds
importants pendant plusieurs années, mais n’atteindrait jamais son
développement potentiel à cause du manque de vision de certains chercheurs, qui
ne voulaient pas que la fondation puisse également financer d’autres
institutions de recherche actives dans le domaine de la conservation de
l’environnement : ils voulaient une fondation au service exclusif de
l’institut d’écologie. Très vite, FUND-ECO se réduit à être une espèce d’annexe
administrative de l’institut.
Pour former des professionnels capables de combiner
des connaissances de plusieurs disciplines, nous avions aussi commencé un
programme de maîtrise, ouvert aussi bien aux avocats qu’aux sociologues et aux
biologistes. Ces études de post-grade en écologie et conservation comprenaient
des cours théoriques mais surtout du travail pratique de terrain. Au début,
tous les étudiants, soigneusement sélectionnés, étaient boursiers. Bientôt il
fut évident qu’il fallait créer un centre de recherches multidisciplinaires
pour accompagner ce programme de maîtrise et qu’avec des professeurs payés à
l’heure de cours nous n’allions pas arriver très loin. Au cours des années,
l’argent pour les bourses s’est épuisé et les choses devenaient plus
difficiles.
Comme directrice de l’institut d’écologie j’appuyais
de mon mieux ces initiatives jusqu’en 1996, lorsque la réforme des pensions me
décida à prendre ma retraite avec le vieux système, qui me permettait de le
faire à 50 ans. Je n’avais pas fort envie de continuer la même routine pendant
encore 15 ans. Beaucoup d’autres profs à l’université prirent la même décision
cette année et la suivante, et ce fut presque un exode. Mais il y avait déjà
une jeune génération prête à nous remplacer.
C’était le cas aussi dans la famille, avec le mariage
d’Isabel et Manuel, puis la naissance de Cecilia. Nous étions désormais des
grand-parents.
Pendant les années suivantes, je continuais à faire
partie du directoire de FUND-ECO et à participer à l’enseignement de la
maîtrise en écologie, je conduisais également un projet de contrôle biologique
d’insectes nuisibles à l’agriculture avec un financement suisse. Après cela, j’ai
participé pendant deux ans au système de contrôle de l’environnement qui
dépendait de l’équivalent bolivien de la Cour des Comptes. Je ne suis pas du
tout certaine que nos rapports aient servi à autre chose qu’à remplir les
tiroirs du Contrôleur Général de la République, mais c’était un travail
intéressant.
Bibliographie
De la UDP al MAS. El enigma constituyente. R. Sanjinés Ávila, 2006.
Informe escrito de un economista boliviano, Juan Antonio Morales, 2002.
La política económica boliviana, 1982-2010, Juan Antonio Morales, 2012.
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