La maison de bonne-maman
Nous allions dire bonjour à ma grand-mère maternelle presque tous les
dimanches après la messe. Nous trouvions bonne-maman, qui avait de forts
rhumatismes, assise dans un fauteuil très droit à haut dossier, tapissé au
point de croix avec de grandes roses sur un fond noir. Je crois bien que la
tapisserie était l’œuvre de ma mère, mais je peux évidemment me tromper.
Nos parents prenaient le porto avec les oncles et tantes au « petit
salon », dont les fenêtres donnaient directement sur la Grand-Place.
Lokeren est une petite ville au nord de Gand, très tranquille quand il n’y a
pas la kermesse, et qui donne sur l’Escaut, pas encore très large à cet
endroit.
Nous, les enfants, étions sensés jouer calmement dans une petite pièce
où il y avait une armoire pleine de jeux anciens, dont il manquait un tas de
fiches, mais nous préférions explorer la maison, malgré les cris d’Angèle, la
cuisinière. Dans les chambres du haut il y avait encore des lits en bois avec
leurs matelas de laine, tellement hauts qu’on pouvait à peine y grimper, et des
commodes en acajou avec de grands tiroirs vides.
Le jardin de Lokeren mérite certainement un dessin avec son grand mur
couvert de vigne vierge, l’étang à poissons rouges, le dépôt de trottinettes,
tricycles, échasses et autres engins en bois, et la serre du fond dont la vigne
ne donnait jamais de raisin.
J’aimais aussi explorer l’ancienne brasserie de mon grand-père. Tous ces
bâtiments se trouvaient au fond du jardin mais étaient abandonnés depuis
longtemps. Les grandes cuves en cuivre avaient été réquisitionnées par les
allemands pendant la guerre et dans les salles vides il ne restait que les grands
murs blancs chaulés et les grosses courroies de cuir qui avaient servi à faire
tourner les machines. Le moteur central était parti, les machines aussi, mais
on pouvait encore s’imaginer la brasserie en marche…
De gauche à droite: Cécile, Tiennot, François, Marthe, Guido, bonne-maman, Christine, Bernadette, Véronique (?), Charles, Luc et Paul (?) |
A l’occasion des 80 ans de bonne-maman, la grande salle à manger,
toujours fermée à clé, avait été ouverte et on avait sorti l’énorme vaisselle
d’apparat rose et verte pour les nombreux convives. Dans l’après-midi les
petits-enfants avaient présenté des scénettes et autres récitations préparées
pendant des semaines, comme on fait souvent dans ces cas-là.
Peu après cette grande réunion familiale, bonne-maman allait rester clouée
au lit pendant plusieurs années, pour avoir fait une chute qui lui avait
fracturé le bassin. D’après ce que raconte tante Crico, elle avait voulu se
lever pour recevoir oncle Antoine et tante Liva qui revenaient du Congo, sans
doute en congé, et elle s’était appuyée sur une petite table roulante qui lui
avait échappée. Toute son occupation était dès lors de suivre la messe le
dimanche dans sa grosse télévision en blanc et noir (elle ne s’intéressait pas
aux autres programmes) et broder des nappes comme cadeau de mariage pour mes
cousines plus âgées.
Cousins et cousines
Ceci semble un bon moment pour vous présenter
mes oncles et tantes, cousins et cousines. Sur l’illustration faite par tante
Agnès et qui représente les vœux de Nouvel An 1950 faits à bonne-maman (Julia
Cauwe, veuve de Georges Antoine Rubbens), dans sa maison de Lokeren, nous
apparaissons presque tous, sauf les trois plus jeunes qui n’étaient pas encore
nés. Tante Agnès avait obtenu les photos de tous ses neveux et avait collé nos
têtes dans son aquarelle, qui fut ensuite photographiée. Les copies furent
distribuées dans la famille.
Comme je vous l’ai déjà raconté, ma grand-mère
vivait à Lokeren, mais elle était née à Bruges. Je n’ai pas connu mon
grand-père Georges Rubbens, qui tenait une de ces nombreuses petites brasseries
qu’on pouvait trouver en Flandres. Ils avaient six enfants adultes et allaient
avoir 30 petits-enfants.
Mes oncles et tantes n’apparaissent pas sur la
photo mais pour compléter l’information, je tâcherai d’expliquer qui ils
étaient.
Georges Rubbens, du même nom que son père,
était l’aîné, marié avec Maggy Wilford. Ils vivaient également à Lokeren, où
mon oncle avait une usine de feutre, la Flandria. Ce qui est amusant c’est
qu’il exportait de la feutrine de poils de lapin vers la Bolivie, où une de nos
connaissances, Ramon Rada, la transformait en chapeaux. Le monde est petit.
Oncle Georges et tante Maggy avaient quatre enfants et un caniche noir, qui
mangeait à table avec les invités, installé sur une chaise haute de bébé et
avec une jolie bavette autour du cou.
L’oncle Antoine était avocat et a passé la plus
grande partie de sa vie au Congo, plus précisément à Elisabethville, au Katanga,
avant l’indépendance. Il était marié avec Liva Ryffranck et ils n’avaient pas
d’enfants. Après 1960 ils ont vécu plusieurs années à Kinshasa, où Antoine enseignait
à la nouvelle université de Lovanium, puis à Bruxelles, où il donnait également
des cours de droit. L’unique référence
que j’ai pu trouver sur son travail est
celle de deux livres publiés, l’un comme éditeur, « L’essor du
Congo » de 1945, et l’autre comme auteur, « Le droit judiciaire
congolais » de 1960.
Ma mère Elisabeth (Lili) était mariée avec
Etienne Belpaire et vivait à Saint Nicolas (Sint Niklaas). Ils avaient huit
enfants. Etienne était le patron d’une fabrique de poêles et cuisinières à
charbon qui allait se moderniser plus tard pour le montage d’autres appareils
ménagers, et dont je vous ai déjà parlé.
Marie-Thérèse (Mimi), mariée avec Emile
Verstraeten, vivait à Terneuzen, en Zéelande (Pays- Bas), pas loin de la
frontière belge. Son mari faisait le commerce de charbon en gros. Mimi avait
une sœur jumelle, Marie-Rose, qui mourut bébé. Mes cousins hollandais étaient
nombreux : six garçons et une seule fille, l’aînée.
Christine (Crico) y René Gottigny vivaient à
Audenarde, où mon oncle René était associé de l’usine textile Gevaco, usine de
longue tradition. Ils avaient quatre filles. Tante Crico est la seule
survivante de sa génération et nous fêterons son centenaire en février 2015.
Joseph, le plus jeune, était marié avec une
française, Yvonne Sabatier. En 1950 ils vivaient encore à Lokeren, mais ils
allaient bientôt déménager vers la Côte d’Azur, dans les environs de Hyères,
pas loin de Saint Tropez. Ils allaient avoir deux filles, puis deux garçons.
L’ainé de mes cousins, Loulou (Louis-Claude) est
le fils de ma tante Denise Rubbens, mariée avec Willy Herbert. Denise était
décédée pendant qu’elle attendait un deuxième enfant. La seconde femme d’oncle
Willy, tante Agnès, est l’auteur de l’aquarelle, qui est signée Agnès, 3-12-49.
C’était donc vraisemblablement un cadeau de Noël ou d’étrennes pour bonne-maman.
Ils vivaient également près de Lokeren.
L’aquarelle représente la grande salle à
manger, qu’on ouvrait uniquement pour les grandes occasions. Personne ne se
souvient s’il y avait un feu ouvert dans cette salle mais je vois très bien les
lambris en bois sur les murs. En tous cas, on peut voir ma sœur Anne qui lit
une lettre de nouvel an sur laquelle paraît la date 1950, pendant que mon
frère Jacquot apporte des bulbes d’hyacinthe en fleurs et que François et
Nénette se préparent à pousser une petite chanson de circonstance. Les autres
enfants ont l’air de bien s’amuser avec leurs nouveaux jouets, sans participer
à la cérémonie. Les plus grands entourent bonne-maman, sans doute attirés par
le gros sac de monnaies qu’elle tient en mains et qui servira aux étrennes.
Manquent sur l’illustration : Marthe
Belpaire, Guido Verstraeten et Georgie Rubbens, qui n’étaient pas encore nés.
Voici la liste :
1. Pierrette Belpaire†
2. Guusje Verstraeten
3. Marie-France
Rubbens (d’oncle Joseph)
4. Bernadette Gottigny
5. Véronique Gottigny
6. Marie-Christine
(Pouce) Gottigny
7. Martine Gottigny
8. François Belpaire
9. Marie-Antoinette
(Nénette) Belpaire
10. Anne Belpaire
11. Jacques (Jacquot)
Belpaire
12. Paul Verstraeten
13. Cécile Belpaire
14. Anne-Marie Rubbens
(d’oncle Joseph)
15. Etienne (Tiennot)
Belpaire
16.
Charles Rubbens (d’oncle Georges)
17. Marc Verstraeten
18. Pierrot Rubbens (d’oncle Joseph)
19. Luc Verstraeten
20. Christine Belpaire
21. Bonne-maman Julia Rubbens-Cauwe
22. Marie-Claire
Rubbens (d’oncle Georges)
23. Frans Verstraeten
24. Louis-Claude
(Loulou) Herbert
25.
Denise Rubbens (d’oncle Georges)
26.
Jean Rubbens (d’oncle Georges)
27. Monique Rubbens (d’oncle Joseph)
Malheureusement il n’existe aucun portrait
de groupe comparable pour mes cousins paternels. Par contre il y a beaucoup
plus d’informations sur la généalogie de la famille Belpaire, que je vous
présenterai dans un prochain chapitre. Pour ce qui concerne les familles
Rubbens et Cauwe, j’ai trouvé très peu d’informations.
Les noms de mes arrière
grands-parents, Émile “Ernest” Cauwe (Bruges, 1845-1908) y Romanie “Rosalie”
Marie Louise De Buck (Bruges, 1850-¿?) figurent pourtant dans l’internet. Il
faut croire qu’ils n’utilisaient pas leurs noms de baptême, ce qui m’intrigue
un peu. Dans le même site, on trouve également les frères et sœurs de ma
grand-mère et leurs conjoints. Les dates sont incomplètes. Personne n’a l’air
de s’être beaucoup intéressé à eux.
Julia (1876-1960) et Ernestine (Titine) Cauwe (1875-?), portraits réalisés par un certain Duijk en 1886. |
Une sœur de bonne-maman, tante Titine, avait un
an de plus qu’elle et était la plus jolie des deux, comme on peut voir sur leurs
portraits d’enfants. Ces portraits se trouvaient dans des familles différentes
et ont été rassemblés par ma mère à la suite d’héritages compliqués, vers l’an
2000. Ils sont maintenant à La Paz, étrange voyage pour ces jeunes filles de
Bruges. Je n’ai pas eu la chance de connaître tante Titine, mais elle était
fameuse dans la famille parce qu’elle ne sortait jamais sans son parapluie,
juste pour s’assurer qu’il ne pleuvrait pas, et parce que, d’après maman, elle
déjeunait d’un jus de citron ou parfois de quelques cuillerées de vinaigre pour
garder la ligne. J’aurais dû suivre ses conseils.
Pour autant que je me souvienne, la famille
Cauwe était des plus catholiques et il y avait plusieurs curés et nonnettes, cousins
germains de ma mère. Parmi ceux que j’ai connus il y avait un missionnaire
franciscain en Chine, un autre père blanc je ne sais où, et un troisième, curé
d’une paroisse prospère aux États-Unis. On jour il nous montra des diapositives
de son église, sa paroisse et sa belle Chevrolet, tout en se vantant les
généreuses aumônes qu’il recevait de ses ouailles.
Une sœur était religieuse, l’autre,
Marie-Jeanne, venait souvent passer quelques jours chez nous. Elle avait un œil
de verre et un pied bot, et marchait difficilement avec une canne. Sa sœur
Marthe Cauwe, la plus jeune, était la seule mariée et avait assuré la
descendance à elle seule : je crois qu’elle avait huit ou neuf enfants. Je
ne connais pas le nom de famille de son mari pour savoir ce qu’ils sont
devenus.
Une autre référence intéressante du nom Cauwe qu’on trouve dans l’internet est celle d’une marque de bière artisanale, dont les fabricants prétendent avoir retrouvé une vieille recette familiale à Bruges.
L’étiquette montre une silhouette de corbeau
(Cauwe en vieux flamand). Je ne sais pas du tout s’il existe une relation avec
la famille de ma grand-mère, ni si elle avait rencontré son mari dans un bal de
brasseurs. On peut toujours s’imaginer quelque chose dans ce genre.
Malheureusement dans un autre site web, cette
bière est supposée être fabriquée à l’abbaye de Silly, ce qui contredit mon
hypothèse.
Du côté de mon grand-père, Georges Rubbens,
j’aurais bien aimé être une descendante du grand Pierre Paul. En tous cas je
ressemble un peu à ses modèles, du moins vue par derrière. Pierre Paul Rubbens
(1577-1640) avait latinisé son nom en supprimant une des lettres “b” après son
voyage en Italie, s’appelant désormais Pietro Paolo Rubens.
Malgré qu’il ait eu sept enfants, trois avec
Isabelle Brant et quatre avec Hélène Froument, soit quatre garçons et trois
filles, il n’a pas laissé d´héritiers qui portent son nom, lequel disparait
avec son petit-fils Alexandre. Ce sont donc ses filles qui, sous d’autres noms,
assurèrent sa lignée. En 2004 la Belgique fit un recensement et trouva 457
personnes portant le nom Rubens ou Rubbens, mais aucun n’était descendant du
peintre.
Véronique Gottigny me fait remarquer quelques erreurs: en effet, Lokeren se trouve sur la Durme et pas sur l'Escaut, et la traduction correcte de Cauwe est choucas. Maman appelait ces oiseaux des "corneilles". Je ne suis pas ornitologue, mille pardons. Elle me dit aussi que le mariage de mes grand-parents maternels était sans doute un mariage arrangé, ce qui semble très possible à l'époque, mais je préfère ma version plus romantique. De toutes facons ce sont des spéculations.
RépondreSupprimerCécile
Troublante rencontre sur la toile Cécile, je suis descendant de Ernestine Rubbens épouse Basile Van Goethem. J'ai connu un juriste Rubbens, au Congo, dont ma maman disait qu'il était un de ses cousins. Dans mes ancêtres il y a un "coupeur de poils" à Lokeren et des "brasseurs" à Gand. Un Georges Cauwe était au mariage de mes parents. Serions nous cousins ? Excellent Dimanche. Merci pour les témoignages très joliment rédigés. Pierrot
RépondreSupprimerGeorges Rubbens serait le frère de Ernestine Rubbens, l’épouse de Basile Van Goethem.
RépondreSupprimerLe professeur de droit se nommait Antoine Rubbens et enseignait à l’Université Lovanium où j'étais étudiant dans les années '60. Mon arrière grand père, Basile Van Goethem avait également des intérêts dans la couperie de poils Flandria. Pierrot
Pierrot.
Bonjour je suis le petit neveu de Liva Ryffranck et d'Antoine Rubbens
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