mercredi 27 août 2014

Histoire naturelle




Maison et jardin

Ma maison et mon jardin à Saint Nicolas étaient un paradis terrestre. Avec une grande famille de huit enfants, des parents assez sévères (on en reparlera plus tard), avec plein d’espace pour jouer de la cave au grenier et dans le jardin, des animaux mémorables : Zwartje, mon agneau noir à moi, Roseke le lapin, Bigoudi le canard, Vieseman et Petite Limace Blanche, les poissons rouges de Tiennot, les perruches qui faisaient du bruit à la cuisine pour rivaliser avec la radio, les divers chiens et chats qui sont passés par là à différentes époques, les jolis poussins de Pâques, le cochon d’Inde et la tortue, de quoi écrire plusieurs fables de La Fontaine.





L’histoire de Zwartje (Noireaud) est la plus triste. Je l’ai retrouvé un jour accroché à la cave, sans tête et sans peau, son cou dégoulinant du sang dans une grande bassine en émail blanc. Pour moi, c’était un assassinat pur et simple. Je n’ai jamais pardonné à mes parents. C’est vrai que maintenant je mange du mouton, et j’aime ça, mais ça ne me viendrait toujours pas à l’idée de manger mes amis ou mes compagnons de jeux.

Un accident

La balançoire au jardin avait presque toujours un occupant (parfois deux à la fois). Excellent endroit pour se reposer, après l’école, pour méditer ou pour aller bouder.


C’était donc un endroit très fréquenté du jardin et il y avait bien sûr des disputes quand il y avait plusieurs amateurs. D’habitude ça ne faisait pas trop de problèmes et on organisait des concours pour voir qui arrivait à toucher les branches du marronnier avec les pieds. Une fois arrivé là, il fallait laisser la balançoire au suivant. 

Cependant la mémoire d’un accident continue à me tourmenter. Un jour que je me balançais, comme un éléphant sur une toile d’araignée-eh, Tiennot était arrivé en courant et s’était mis dans le trajet de la balançoire. Il reçut en plein front le bord de métal où s’attachaient les cordes. Maman arriva en criant pour ramasser son pauvre petit garçon qui saignait. « Tu l’as presque tué ! » me criait-elle, comme si c’était ma faute, ce qui m’effrayait évidemment. 
 



Tiennot s’en tira avec quelques points de suture et une compresse froide sur le front. Moi je m’en fais encore toujours. Maman m’avait obligée à demander pardon à genoux (ce que je fis volontiers) et m’avait punie « parce que j’étais la plus grande ». Telle est la logique des adultes.

Mon amie Brigitte m'a rappelé récemment qu'un certain hiver papa avait installé la balançoire au grenier, pendue à une grosse poutre, et qu’on se balançait alors en passant les pieds par la fenêtre ouverte de la mansarde. Heureusement, je crois que nos parents ne s’en sont jamais rendus compte.



Collections

François a sept ans de plus que moi et je l’ai toujours beaucoup admiré et imité. Il avait dans sa chambre un énorme bureau-bibliothèque-cabinet de curiosités hérité de Monsieur Tienpont, le papa de tante Minou, qui n’était d’ailleurs pas une tante mais une amie de maman et surtout de sa sœur, tante Crico. Il y avait toute la place pour mettre les collections d’insectes, fossiles, pierres et coquillages imaginables. C’est François qui m’a fait apprécier toutes ces collections qu’on admirait avec beaucoup de respect et auxquelles on ajoutait nos propres récoltes, insectes du potager ou couteaux et autres coquilles ramassés sur la plage. 




Une bonne partie de cette collection – et un magnifique microscope ancien en cuivre – provenaient de notre grand-père paternel et donnaient foi des intérêts scientifiques qui remontaient plus loin dans la famille.

Était-ce Antoine Belpaire, frère de mon arrière-arrière-grand-père Félix Hippolyte, auteur de l’ouvrage « La plaine maritime entre Boulogne et le Danemark » qui avait ramassé les conques de mer et les porcelaines sur les plages du début du dix-neuvième siècle ? Et à qui appartenait le microscope ? Il semblait dater au moins de la même époque, dans son coffret de bois qui sentait le baume de Canada utilisé pour le montage des porte-objets avec des ailes de mouche ou des antennes de fourmis. Un autre amusement était de comparer les cheveux de la famille.

Pour jouer à la chimie, il y avait les bouteilles vides de médicaments, le compte-gouttes et tous les autres récipients accumulés chaque fois que l’occasion se présentait.





 Sans compter le mortier, un vrai mortier de pharmacien en porcelaine blanche, qui servait à broyer le charbon, le souffre et le salpêtre pour fabriquer la poudre et qui permettait de lancer nos fusées dans l’espace : vieilles pompes à vélo, tuyaux en fer ou en aluminium, récupérés je ne sais où ; plus tard les lancements de fusées allaient être immortalisés dans un tableau de François devenu artiste-peintre au Québec.




Quant à moi, les collections d’insectes ont continué en Bolivie, et le microscope en cuivre s’est transformé en un exemplaire moderne à fluorescence et immersion où on pouvait étudier les bactéries, qui a terminé d’abîmer mes yeux déjà myopes, peut-être à cause des lectures en cachette au pensionnat, le soir dans mon lit avec une lampe de  poche. Mais à 1500 grossissements, le monde redevient abstrait.



Travail au jardin

A part les animaux il y avait aussi un grand potager et un verger. C’était notre travail à nous, enfants, de récolter les haricots, de courir vite chercher du persil frisé pour la soupe, de cueillir les petits pois et ramasser les fraises, de tirer hors de leur lit les carottes et les radis, et surtout de nous occuper des asperges.



  
Pour obtenir les fameuses asperges belges – elles sont blanches, pas vertes comme en France et dans le reste du monde – il faut que la pousse ne voie jamais le soleil. Donc les asperges montent dans de hauts bancs de terre et, avant sept heures du matin, dès qu’il y a de la lumière, il faut repérer les petites pointes d’asperge qui crèvent le sol et creuser tout autour pour couper et sortir délicatement la tige sans la casser, puis refermer soigneusement le trou. Au mois de juin, jusqu’à la Saint Jean, on pelait et on mangeait des asperges pour tous les repas.

Rappelez-vous la gloire du cerisier près de la maison, vieux, énorme et plein d’oiseaux – il y avait tant de cerises que nous partagions : les branches hautes étaient pour eux, les basses pour nous. Dans le reste du verger il y avait moins d’exubérance : les poiriers étaient bien rangés, les pommiers taillés proprement, la haie formée par les groseilliers rouge, blanc, à maquereau et cassis pour le sirop et la confiture, et on mangeait des groseilles tant qu’on pouvait. C’était plus gai de croire qu’on les mangeait en cachette, même si tout le monde était au courant et la chose était pour le moins tolérée.




Le vieux pommier à reinettes au milieu de la grande pelouse en était à ces derniers jours déjà, mais ses fleurs roses sous la neige une certaine année me resteront toujours comme un cadeau très spécial. Cette même année ou une autre, il nous donna une pléthore de petites pommes délicieuses et puis, plus jamais rien. Il a fallu l’abattre.

Parlons des pelouses. Les tondre était un travail sans fin, et l’achat de nouvelles tondeuses (manuelles, à essence, électriques) était un grand sujet de conversation à table. La plus mémorable sans doute était la machine électrique, dont le long cordon servait à François pour allumer la poudre de ses fusées interspatiales. Le court-circuit fit sauter tous les plombs de la maison.

La pelouse, c’était le travail de papa et de mes grands frères, sauf quand il fallait combattre les taupes, ennemies jurées de maman et qu’il fallait exterminer sans pitié par piège ou par poison, ou du moins chasser jusque chez le voisin, qui bien sûr les renvoyait chez nous. Je me souviens d’un appareil à ultrasons qui avait fait fureur une année.  




Ma mère, c’était aussi les fleurs : les parterres, les roses blanches qui nous servaient à faire du « sent-bon » en les laissant macérer dans de l’eau tiède et qui poussaient sur le mur près de la terrasse, le forsitia et les chatons de saule qui annonçaient le début du printemps, les tulipes et les narcisses à Pâques, les énormes dahlias de l’automne, les chrysanthèmes roux et les petits asters bleu-mauves, et les myosotis qu’il ne faut surtout pas oublier. Il fallait toujours biner, replanter, semer (enfin, pas dans cet ordre). Heureusement avec tout ce qu’il pleut en Belgique, il ne fallait pas arroser souvent.

 
Pendant une époque ma mère avait engagé un vieux jardinier, « socialiste » d’après elle, peut-être lui avait-il demandé une augmentation ? Je crois qu’il s’appelait Petrus, joli nom latin. Comme tous les vieux jardiniers, il râlait sur les enfants qui osaient le déranger en jouant dans « son » jardin et nous insultait en patois. « Ik ken e frans wuord dadegulder nie kent : travailleren ». Je le vois encore avec sa salopette et un vieux chapeau de papa sur la tête. Nous en avions une peur bleue.




Dans mon jardin actuel à La Paz, qui est bien plus petit, j’avais également un vieux jardinier, ancien maître d’école, pas socialiste mais insolent et tout aussi râleur. Il est mort maintenant, mais il scandalisait mon mari en lui déclarant qu’il ne recevait d’ordres et de conseils que de madame (moi). De toute façon il n’en faisait qu’à sa tête et à sa façon. Toutes les plantes devaient être alignées en rangs, comme il faisait sans doute avec ses élèves. Mon jardin a énormément amélioré depuis qu’il n’est plus là.



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