De Tiquipaya à Tipnis
Les beaux discours ne changeaient pourtant pas,
et Morales continuait à parler de la lutte contre la pauvreté, de « vivre
bien », de dignité, des droits de nos frères indigènes à leur territoire,
de notre chère Mère Terre, alors que dans les faits il se passe tout le contraire :
l’exploitation des ressources naturelles se fait sans pitié ni précautions, et
les plantations de coca envahissent les réserves forestières et les parcs
nationaux. On dirait que tout le monde a oublié que les zones protégées ont
justement pour fonction celle de conserver les derniers petits bouts naturels
de la planète.
La Bolivie organisa en avril 2010 une
« Conférence Mondiale des Peuples contre le Réchauffement Climatique et
pour la Défense des Droits de la Mère Terre » à Tiquipaya, un joli village
des environs de Cochabamba, où étaient invités tous les mouvements globaux
anti-globalisation et autres ONG illuminées, quelques présidents amis comme
Hugo Chávez, en plus de nombreuses délégations paysannes et indigènes affiliées
au MAS. Quelque vingt mille personnes et pas de toilettes prévues.
Tous à Tiquipaya. Devinez qui a mangé du poulet. |
Les mouvements écologistes un peu plus sérieux,
comme LIDEMA, ne furent pas écoutés, surtout quand ils dénonçaient le mauvais
usage et la perte des ressources naturelles en Bolivie. Evo Morales fit une
harangue, qui fit le tour de la planète, pour expliquer que la consommation de
poulet était la cause de l’augmentation du nombre d’homosexuels dans le monde
et de la calvitie des Européens. Il fut aussi proclamé leader spirituel de
toutes les nations indigènes par Rigoberta Menchu.
Une fois la fête terminée et les invités
partis, le saccage des zones protégées pouvait recommencer. L’exploration
pétrolière, la construction de barrages et de routes, l’abattage des forêts, la
contamination produite par la fabrication de cocaïne, continuaient sans relâche dans les régions les
plus fragiles et les plus belles de l’Amazonie.
Beaucoup de personnes, aussi bien dans le pays
qu’ailleurs, qui croyaient aux discours de Evo, ont finalement ouvert les yeux
lorsque l’année suivante, le 26 septembre 2011, la neuvième marche des
indigènes du TIPNIS (Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Securé, du
nom des deux rivières qui le traversent) fut brutalement réprimée à Chaparina.
La police empêche l’accès à l’eau pour les marcheurs |
Le Territoire d’Isiboro-Securé est une région
amazonienne presque intacte de grande pluviosité (plus de 6000 mm), traversée
par des méandres de rivière, qui possède une énorme biodiversité et est habitée
par des indiens Moxeño, Yuracare et Chimane, qui maintiennent un mode de vie
traditionnel.
Les indigènes avaient organisé leur longue
marche vers La Paz pour protester contre la construction d’une route, qui
couperait par le milieu cette zone protégée et donnerait un accès facile aux
producteurs de coca. Ceux-ci occupent déjà illégalement un secteur du parc, ce
qui allait signifier le déplacement des indigènes originaires de cette région
et la destruction de leur territoire. Il y a aussi des plans d’exploitation de
pétrole, tenus plus ou moins en réserve par le gouvernement, vu que trois zones
d’exploration (Secure, Chisponi et Rio Hondo) se superposent au parc et leur
accès serait facilité par la construction de la route entre Villa Tunari et San
Ignacio de Moxos.
Evo Morales contre (de haut en bas) Fernando Vargas, Adolfo Chávez et Rafael Quispe. |
La population de La Paz, comme elle avait déjà
fait pour une marche précédente, alla en masse recevoir les marcheurs qui
avaient repris la route malgré les coups et les vexations de la police, pour
les appuyer.
Mon fils Joaquín et ma nièce Gabriela Morales
étaient de passage à La Paz et avec Isabel, Manuel, Cecilia et Emiliano, nous
sommes allés à la rencontre des marcheurs à la place Villaroel, pour ensuite
les accompagner jusqu’à San Francisco.
Isabel (pull vert, à gauche),
Gabriela (cheveux longs), Cécile (avec casquette et pancarte).
Emiliano et Cecilia sont derrière.
Joaquín est le photographe. |
Après beaucoup de discussions, de lois
approuvées puis récusées, d’interprétations de tout genre à propos du concept
d’intangibilité, de consultations manipulées parmi les communautés du TIPNIS,
la route ne s’est toujours pas construite, mais les plans ne sont pas
abandonnés. Il faut plutôt trouver la raison du retard dans les inondations
catastrophiques qui ont eu lieu l’année suivante, couvrant tout le département
du Beni et probablement causées, ou du moins aggravées, par les barrages
construits par le Brésil sur la rivière amazonienne Madeira.
Beaucoup d’autres mégaprojets menacent
l’environnement en Bolivie. Il s’agit souvent de projets proposés par des
entreprises de construction brésiliennes ou chinoises, comme les barrages déjà
nommés sur la rivière amazonienne Madeira (Jirao et San Antonio au Brésil,
Binational à la frontière et Cachuelas Esperanza en Bolivie), ou le barrage hydroélectrique
El Bala, projet qui date des années 80 et que le gouvernement essaye de
ressusciter malgré tous les dangers et les coûts impliqués, déjà identifiés à
l’époque. Ce dernier barrage inonderait 250.000 hectares, affectant les parcs
Madidi, le plus beau et le plus divers de Bolivie, et Pilon Lajas.
El Bala |
Dans tous les cas, il s’agit d’exporter de
l’électricité aux pays voisins pour obtenir des devises et compenser la baisse
des prix du pétrole et du gaz, et permettre au gouvernement de continuer à
dépenser en plaines de foot au gazon artificiel et en stades surdimensionnés.
D’autre part, il faut mentionner d’autres vieux
projets déterrés comme l’obtention d’énergie géothermique dans le parc andin
Eduardo Avaroa, dans le sud-ouest, ou le développement d’un complexe sucrier
dans le nord de La Paz, qui prévoit entre autres une route traversant le cœur
du parc Madidi, et bien sûr l’exploitation pétrolière, qui menace sept des 22
parcs nationaux. Aguaragüe, en actuelle exploitation, Iñau, Tipnis, Madidi,
Pilón Lajas, Tariquía et Manuripi sont sur la liste.
Mais le plus grave de tout est le projet de
construction d’une centrale nucléaire près de La Paz, dont la dimension est
inconnue, et qui serait installée dans un endroit où l’eau est une denrée rare.
Le gouvernement bolivien a oublié tous ses principes – s’il en a jamais eu –
dans la panique du « développement » à outrance, sans la moindre
considération pour le futur. Du moins à l’époque néolibérale, nous avions le
droit de protester et nous pouvions freiner les projets trop démentiels. Maintenant,
critiquer est devenu dangereux.
Quelle heure
est-il ?
Une nouvelle horloge a été installée il y a
quelques mois en haut de la façade du Congrès, à la place Murillo de La Paz.
D’après les explications du ministre aux Affaires Extérieures, David Choquehuanca,
elle symbolise la résurgence de l’hémisphère sud, traditionnellement dominé par
l’hémisphère nord.
Les temps changent : l’ancienne et la nouvelle horloge |
Les aiguilles tournent à l’envers et les
chiffres vont de droite à gauche. A mon avis, cette horloge symbolise très bien
ce qui se passe vraiment en Bolivie : nous faisons définitivement marche
arrière et nous reculons dans le temps. Après avoir maintenant dépassé la
colonie espagnole et le temps des Incas, nous arriverons sans doute bientôt à
l’époque d’Adam et… Evo.
Et puis…
Si cette histoire vous amuse (bis)
Nous pouvons la, la, la recommencer (bis)
Ohé ! Ohé !
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