Casa Montes
Pendant les années précédentes à son
installation sur le campus de Cota-Cota, l’Institut d’Ecologie avait fonctionné
d’abord, entre fin 1978 et juillet 1980, dans un petit appartement loué et
adapté dans la mesure du possible, puis, après l’intervention de l’université à
la suite du coup d’état de García Meza en juillet 1980, il avait déménagé au
premier étage d’une vieille demeure classée, connue comme la « Casa
Montes », à l’avenue 6 de agosto, et qui appartenait à l’université. Cette
belle maison, restaurée, est actuellement occupée par l’archive
historique de La Paz.
La direction de l’institut avait été confiée à
un certain Monsieur Alvarez, grand ami des militaires putschistes et ingénieur
chimiste. Comme ce monsieur n’était vraiment pas présentable et voulait tout
disposer à sa guise, Erika fit des pieds et des mains pour que l’ambassade
allemande intervienne auprès du gouvernement et parvint à le faire remplacer au
bout de quelques mois.
Parmi les anecdotes qu’Erika me raconta plus
tard il me faut mentionner celle des carabines. En effet, un jour, en pleine
dictature, arriva à la douane une grosse caisse de l’agence Schenker, lourde et
hermétiquement clouée. Surprise : une fois ouverte, elle contenait des
armes et des munitions. Avec la réputation de gauchistes et de subversifs
qu’avaient alors les professeurs et les étudiants de l’université, cette caisse
mettait tout le monde en danger. Erika arriva pourtant à cacher la maudite
caisse et à la remettre à l’ambassade d’Allemagne. J’ai entendu deux versions
de l’histoire : dans l’une, la caisse était destinée ailleurs et Schenker
s’était trompé de pays, confondant peut-être la Bolivie et la Lybie. Dans
l’autre, Werner Hanagarth avait effectivement commandé des fusils de chasse
pour compléter ses collections d’oiseaux. Je n’ai jamais su quelle était la
bonne version.
Le recteur nomma finalement le Dr. Luis
Briançon, médecin physiologiste. Lucho travaillait auparavant à l’Institut de
Biologie de l’Altitude, en accord avec l’ORSTOM, la coopération française, mais
il s’était vilainement disputé avec les chercheurs français. Il allait
également beaucoup se disputer avec les chercheurs en écologie, mais nous
laissa en héritage une immense vieille table, du genre réunion de cabinet de ministres,
qui sortait de Dieu sait où et qui est toujours utilisée pour monter et
examiner les plantes de l’herbier.
Pendant cette époque, ce sont surtout les
étudiants avancés de biologie qui allaient conserver leur enthousiasme et la
tradition de la recherche, et bientôt devenir de jeunes profs responsables du
fonctionnement de l’institut. Les trois chercheurs allemands, Erika Geyger,
Stephan Beck et Werner Hanagarth, purent également se maintenir, avec l’aide du
programme d’échanges académiques DAAD, après que la GTZ eût coupé tous les
ponts avec la Bolivie à cause du régime dictatorial. Ekkehard Jordan, le
géographe, avait fait un séjour plus court de 18 mois, tandis que Heinz
Ellenberg et Barbara Ruthsatz nous visitaient presque tous les ans.
Au Musée d’Histoire Naturelle
Je n’ai donc jamais travaillé à la Casa Montes,
puisque j’avais été mise à la porte suite au coup d’état de juillet 1980. Le
deuxième semestre de cette année, avant notre départ pour Boston, je me
retrouvai comme curateur au Musée National d’Histoire Naturelle, tout juste
créé par l’Académie Nationale des Sciences sur l’initiative du père Javier
Cerdá et du Dr. Ovidio Suárez. Le père Cerdá, jésuite catalan et biologiste,
cherchait un domicile pour la collection de faune de son prédécesseur, le père
Sempere, qui encombrait les couloirs du collège Saint Calixte.
Antonio (surnommé Pato, c’est-à-dire Canard)
Saavedra, l’ancien recteur de la UMSA, purgé comme toutes les autorités
universitaires par le gouvernement militaire, était le premier directeur du
musée. Come j’avais également été expulsée de l’université, il m’avait recrutée
pour organiser, restaurer, identifier et faire l’inventaire de la collection
Sempere.
Malheureusement beaucoup de bestioles du brave
père étaient en mauvais état, partiellement mangées par les mites ou ayant même
parfois perdu la tête pendant leurs années au collège, et il avait fallu en
jeter une bonne partie. D’autre part, rien n’était étiqueté, et n’ayant pas de
références de lieu ni de date de collecte, la collection n’avait aucune valeur scientifique.
Pourtant
nous sommes arrivés, avec très peu de moyens, à installer quelques vitrines
avec des bocaux pleins de serpents et de poissons et à construire de faux
paysages en froissant du papier d’emballage et en y mettant des branches et les
quelques gros animaux empaillés récupérables, de façon à installer une salle didactique,
surtout visitée par les écoliers.
Exploration scientifique
Malgré
les découvertes des grands explorateurs du 18e et 19e
siècle, comme Tadeus Haencke, Alcide d’Orbigny, Alexandre von Humboldt, Melchor
María Mercado, Théodore Herzog et tant d’autres, la faune et la flore de
Bolivie étaient encore très peu connues.
Pendant
les années 1960-1980, des boliviens comme Martín Cárdenas ou Noel Kempff
Mercado avaient publié leurs travaux en botanique et en zoologie
respectivement, mais Cárdenas avait déposé ses collections de plantes à
Cordoba, en Argentine, parce qu’il n’avait pas confiance dans les capacités de
conservation de son université à Cochabamba. La plupart des autres collectes se
trouvaient à Paris, Berlin et New York.
Le
5 septembre 1986, Noel Kempff et ses accompagnants allaient être assassinés à
Huanchaca, dans la région est de Santa Cruz, lorsque leur avionnette atterrit
sur une piste clandestine où ils voulaient faire une inspection, vu qu’il
s’agissait d’une zone protégée.
Dans les années 1980, le Musée d’Histoire
Naturelle avait déjà des contacts intéressants avec des chercheurs étrangers
qui organisaient des expéditions en Bolivie et que nous pûmes convaincre de
laisser une partie de leurs exemplaires à La Paz, au lieu de tout ramener avec
eux à New York ou en Angleterre.
Sidney Anderson pour les petits mammifères, Charles Fugler pour les reptiles et James van Remsen pour les oiseaux commençaient également à prendre en compte les étudiants de biologie et les emmenaient en excursion avec eux comme assistants, en leur enseignant le métier. En plus, ils laissaient un double de leurs spécimens au musée et publiaient leurs résultats dans la revue de l’Institut d’Ecologie. Beaucoup d’autres scientifiques allaient suivre, aussi bien en zoologie qu’en botanique.
Sidney Anderson pour les petits mammifères, Charles Fugler pour les reptiles et James van Remsen pour les oiseaux commençaient également à prendre en compte les étudiants de biologie et les emmenaient en excursion avec eux comme assistants, en leur enseignant le métier. En plus, ils laissaient un double de leurs spécimens au musée et publiaient leurs résultats dans la revue de l’Institut d’Ecologie. Beaucoup d’autres scientifiques allaient suivre, aussi bien en zoologie qu’en botanique.
Grâce à l’Académie des Sciences, il y avait
également des contacts avec les espagnols de Doniana, qui allaient plus tard
appuyer la création de la Station Biologique du Beni. Les zoologistes Werner
Hanagarth et María Ripa de l’Institut d’Ecologie travaillaient en étroite
collaboration avec le musée. Beaucoup d’étudiants de biologie y passaient des heures comme volontaires, et en savaient vite beaucoup plus que leurs
professeurs, du moins en systématique.
En
1989, le laboratoire d’Hydrobiologie, qui dépendait également du Département de
Biologie, allait s’intégrer à l’Institut d’Ecologie. Après plus de dix ans de
travail en commun, les chercheurs français qui avaient étudié avec enthousiasme
et d’excellents résultats les espèces fossiles de l’Altiplano et actuelles du
lac Titicaca, exploré le Salar d’Uyuni et décrit en détail les grandes rivières
qui descendent vers l’orient tropical, se retiraient de la Bolivie à cause de
coupes budgétaires décidées à Paris, et abandonnaient leurs collègues boliviens
à leur sort.
Heureusement la GTZ accepta de prendre la
relève et put continuer à les appuyer financièrement. La coopération technique
japonaise se maintenait aussi, mais était plutôt dirigée vers les aspects
pratiques de la pêche et l’aquiculture.
Mouvements écologistes
On peut certainement dire que les années 1980
étaient marquées par de grands progrès dans la recherche scientifique en
Bolivie. A mesure que les années passaient, les départements de biologie des
universités de Cochabamba et Santa Cruz allaient joindre le mouvement et de
nouvelles organisations allaient se créer, ONG privées et groupes de
volontariat, bientôt associées à l’intérieur de la Ligue pour la Défense de
l’Environnement, LIDEMA, en 1985. Les écologistes trouvaient leur voix sur la
scène politique et avaient désormais un porte-parole pour faire connaître leurs
opinions.
Les premières réunions pour organiser la Ligue
avaient des participants légèrement folkloriques : Leslie McIntyre et
Manuel Posnansky croyaient aux OVNIS et au caractère extraterrestre de
Tiahuanaco, Wagner Terrazas alarmait le pays sur la perte de 47 % de la
surface nationale par l’érosion, Armando Cardozo voulait compter les vigognes,
José (Pepe) Lorini cherchait des méthodes de développement agricole pour les
petits producteurs, Erik Roth y mettait ses méthodes behaviouristes, Juan
Carlos Quiroga dessinait des cartes géographiques indiquant l’usage potentiel
des sols, et moi je cherchais les petites bêtes.
Les
femmes écologistes de l’époque étaient connues diversement comme « las
brujildas » ou « las vacas sagradas », ceci particulièrement
pour María et moi. Je préfère évidemment le premier surnom.
Pas
vraiment besoin de traduction : les petites sorcières ou les vaches
sacrées. Les « brujildas » appartenant à diverses institutions se
réunissaient assez régulièrement chez l’une ou l’autre pour prendre un thé,
discuter des affaires courantes et fêter les anniversaires du mois.
Mais
tous ces intérêts différents avaient finalement convergé vers un objectif commun,
une alliance entre toutes les institutions actives à l’époque, pour établir une
contrepartie civile aux initiatives, bonnes ou mauvaises, du gouvernement.
En 1985, LIDEMA comptait 6 membres: la Société bolivienne pour l’écologie (SOBE), L’Association pour la défense de la nature (PRODENA), le Centre interdisciplinaire d´études communautaires (CIEC), l’Institut d’écologie (IE), le Musée national d’histoire naturelle (MNHN) et CUMAT, Centre d’études de la capacité de la terre. Actuellement il y en a 27, dispersées dans toute la Bolivie. Mais ceci nous mène vers une autre histoire et un prochain chapitre.
En 1985, LIDEMA comptait 6 membres: la Société bolivienne pour l’écologie (SOBE), L’Association pour la défense de la nature (PRODENA), le Centre interdisciplinaire d´études communautaires (CIEC), l’Institut d’écologie (IE), le Musée national d’histoire naturelle (MNHN) et CUMAT, Centre d’études de la capacité de la terre. Actuellement il y en a 27, dispersées dans toute la Bolivie. Mais ceci nous mène vers une autre histoire et un prochain chapitre.
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