samedi 28 mars 2015

Ecologie



Casa Montes

Pendant les années précédentes à son installation sur le campus de Cota-Cota, l’Institut d’Ecologie avait fonctionné d’abord, entre fin 1978 et juillet 1980, dans un petit appartement loué et adapté dans la mesure du possible, puis, après l’intervention de l’université à la suite du coup d’état de García Meza en juillet 1980, il avait déménagé au premier étage d’une vieille demeure classée, connue comme la « Casa Montes », à l’avenue 6 de agosto, et qui appartenait à l’université. Cette belle maison, restaurée, est actuellement occupée par l’archive historique de La Paz. 


La direction de l’institut avait été confiée à un certain Monsieur Alvarez, grand ami des militaires putschistes et ingénieur chimiste. Comme ce monsieur n’était vraiment pas présentable et voulait tout disposer à sa guise, Erika fit des pieds et des mains pour que l’ambassade allemande intervienne auprès du gouvernement et parvint à le faire remplacer au bout de quelques mois.

Parmi les anecdotes qu’Erika me raconta plus tard il me faut mentionner celle des carabines. En effet, un jour, en pleine dictature, arriva à la douane une grosse caisse de l’agence Schenker, lourde et hermétiquement clouée. Surprise : une fois ouverte, elle contenait des armes et des munitions. Avec la réputation de gauchistes et de subversifs qu’avaient alors les professeurs et les étudiants de l’université, cette caisse mettait tout le monde en danger. Erika arriva pourtant à cacher la maudite caisse et à la remettre à l’ambassade d’Allemagne. J’ai entendu deux versions de l’histoire : dans l’une, la caisse était destinée ailleurs et Schenker s’était trompé de pays, confondant peut-être la Bolivie et la Lybie. Dans l’autre, Werner Hanagarth avait effectivement commandé des fusils de chasse pour compléter ses collections d’oiseaux. Je n’ai jamais su quelle était la bonne version.

Le recteur nomma finalement le Dr. Luis Briançon, médecin physiologiste. Lucho travaillait auparavant à l’Institut de Biologie de l’Altitude, en accord avec l’ORSTOM, la coopération française, mais il s’était vilainement disputé avec les chercheurs français. Il allait également beaucoup se disputer avec les chercheurs en écologie, mais nous laissa en héritage une immense vieille table, du genre réunion de cabinet de ministres, qui sortait de Dieu sait où et qui est toujours utilisée pour monter et examiner les plantes de l’herbier.   

Pendant cette époque, ce sont surtout les étudiants avancés de biologie qui allaient conserver leur enthousiasme et la tradition de la recherche, et bientôt devenir de jeunes profs responsables du fonctionnement de l’institut. Les trois chercheurs allemands, Erika Geyger, Stephan Beck et Werner Hanagarth, purent également se maintenir, avec l’aide du programme d’échanges académiques DAAD, après que la GTZ eût coupé tous les ponts avec la Bolivie à cause du régime dictatorial. Ekkehard Jordan, le géographe, avait fait un séjour plus court de 18 mois, tandis que Heinz Ellenberg et Barbara Ruthsatz nous visitaient presque tous les ans.

Au Musée d’Histoire Naturelle

Je n’ai donc jamais travaillé à la Casa Montes, puisque j’avais été mise à la porte suite au coup d’état de juillet 1980. Le deuxième semestre de cette année, avant notre départ pour Boston, je me retrouvai comme curateur au Musée National d’Histoire Naturelle, tout juste créé par l’Académie Nationale des Sciences sur l’initiative du père Javier Cerdá et du Dr. Ovidio Suárez. Le père Cerdá, jésuite catalan et biologiste, cherchait un domicile pour la collection de faune de son prédécesseur, le père Sempere, qui encombrait les couloirs du collège Saint Calixte.


Antonio (surnommé Pato, c’est-à-dire Canard) Saavedra, l’ancien recteur de la UMSA, purgé comme toutes les autorités universitaires par le gouvernement militaire, était le premier directeur du musée. Come j’avais également été expulsée de l’université, il m’avait recrutée pour organiser, restaurer, identifier et faire l’inventaire de la collection Sempere.

Malheureusement beaucoup de bestioles du brave père étaient en mauvais état, partiellement mangées par les mites ou ayant même parfois perdu la tête pendant leurs années au collège, et il avait fallu en jeter une bonne partie. D’autre part, rien n’était étiqueté, et n’ayant pas de références de lieu ni de date de collecte, la collection  n’avait aucune valeur scientifique. 

Pourtant nous sommes arrivés, avec très peu de moyens, à installer quelques vitrines avec des bocaux pleins de serpents et de poissons et à construire de faux paysages en froissant du papier d’emballage et en y mettant des branches et les quelques gros animaux empaillés récupérables, de façon à installer une salle didactique, surtout visitée par les écoliers.

Exploration scientifique

Malgré les découvertes des grands explorateurs du 18e et 19e siècle, comme Tadeus Haencke, Alcide d’Orbigny, Alexandre von Humboldt, Melchor María Mercado, Théodore Herzog et tant d’autres, la faune et la flore de Bolivie étaient encore très peu connues.

Pendant les années 1960-1980, des boliviens comme Martín Cárdenas ou Noel Kempff Mercado avaient publié leurs travaux en botanique et en zoologie respectivement, mais Cárdenas avait déposé ses collections de plantes à Cordoba, en Argentine, parce qu’il n’avait pas confiance dans les capacités de conservation de son université à Cochabamba. La plupart des autres collectes se trouvaient à Paris, Berlin et New York.

Le 5 septembre 1986, Noel Kempff et ses accompagnants allaient être assassinés à Huanchaca, dans la région est de Santa Cruz, lorsque leur avionnette atterrit sur une piste clandestine où ils voulaient faire une inspection, vu qu’il s’agissait d’une zone protégée. 

Lorsque la police décide finalement d’aller voir, trois jours plus tard, elle retrouve les corps et un énorme laboratoire d’élaboration de drogue. Les trafiquants ont bien sûr disparu et abandonné leurs précurseurs chimiques, lesquels disparaitront à leur tour une semaine plus tard avec la complicité de la police. On n’a jamais retrouvé ni les uns ni les autres. La région de Huanchaca est comprise dans un des plus beaux parcs nationaux de Bolivie, qui porte maintenant le nom de Noel Kempff Mercado en son honneur.

Dans les années 1980, le Musée d’Histoire Naturelle avait déjà des contacts intéressants avec des chercheurs étrangers qui organisaient des expéditions en Bolivie et que nous pûmes convaincre de laisser une partie de leurs exemplaires à La Paz, au lieu de tout ramener avec eux à New York ou en Angleterre. 

Sidney Anderson pour les petits mammifères, Charles Fugler pour les reptiles et James van Remsen pour les oiseaux commençaient également à prendre en compte les étudiants de biologie et les emmenaient en excursion avec eux comme assistants, en leur enseignant le métier. En plus, ils laissaient un double de leurs spécimens au musée et publiaient leurs résultats dans la revue de l’Institut d’Ecologie. Beaucoup d’autres scientifiques allaient suivre, aussi bien en zoologie qu’en botanique.


Grâce à l’Académie des Sciences, il y avait également des contacts avec les espagnols de Doniana, qui allaient plus tard appuyer la création de la Station Biologique du Beni. Les zoologistes Werner Hanagarth et María Ripa de l’Institut d’Ecologie travaillaient en étroite collaboration avec le musée. Beaucoup d’étudiants de biologie y passaient des heures comme volontaires, et en savaient vite beaucoup plus que leurs professeurs, du moins en systématique.

En 1989, le laboratoire d’Hydrobiologie, qui dépendait également du Département de Biologie, allait s’intégrer à l’Institut d’Ecologie. Après plus de dix ans de travail en commun, les chercheurs français qui avaient étudié avec enthousiasme et d’excellents résultats les espèces fossiles de l’Altiplano et actuelles du lac Titicaca, exploré le Salar d’Uyuni et décrit en détail les grandes rivières qui descendent vers l’orient tropical, se retiraient de la Bolivie à cause de coupes budgétaires décidées à Paris, et abandonnaient leurs collègues boliviens à leur sort.  

Heureusement la GTZ accepta de prendre la relève et put continuer à les appuyer financièrement. La coopération technique japonaise se maintenait aussi, mais était plutôt dirigée vers les aspects pratiques de la pêche et l’aquiculture.

Mouvements écologistes
On peut certainement dire que les années 1980 étaient marquées par de grands progrès dans la recherche scientifique en Bolivie. A mesure que les années passaient, les départements de biologie des universités de Cochabamba et Santa Cruz allaient joindre le mouvement et de nouvelles organisations allaient se créer, ONG privées et groupes de volontariat, bientôt associées à l’intérieur de la Ligue pour la Défense de l’Environnement, LIDEMA, en 1985. Les écologistes trouvaient leur voix sur la scène politique et avaient désormais un porte-parole pour faire connaître leurs opinions. 

Les premières réunions pour organiser la Ligue avaient des participants légèrement folkloriques : Leslie McIntyre et Manuel Posnansky croyaient aux OVNIS et au caractère extraterrestre de Tiahuanaco, Wagner Terrazas alarmait le pays sur la perte de 47 % de la surface nationale par l’érosion, Armando Cardozo voulait compter les vigognes, José (Pepe) Lorini cherchait des méthodes de développement agricole pour les petits producteurs, Erik Roth y mettait ses méthodes behaviouristes, Juan Carlos Quiroga dessinait des cartes géographiques indiquant l’usage potentiel des sols, et moi je cherchais les petites bêtes.

Les femmes écologistes de l’époque étaient connues diversement comme « las brujildas » ou « las vacas sagradas », ceci particulièrement pour María et moi. Je préfère évidemment le premier surnom.

Pas vraiment besoin de traduction : les petites sorcières ou les vaches sacrées. Les « brujildas » appartenant à diverses institutions se réunissaient assez régulièrement chez l’une ou l’autre pour prendre un thé, discuter des affaires courantes et fêter les anniversaires du mois.

Mais tous ces intérêts différents avaient finalement convergé vers un objectif commun, une alliance entre toutes les institutions actives à l’époque, pour établir une contrepartie civile aux initiatives, bonnes ou mauvaises, du gouvernement. 

En 1985, LIDEMA comptait 6 membres: la Société bolivienne pour l’écologie (SOBE), L’Association pour la défense de la nature (PRODENA), le Centre interdisciplinaire d´études communautaires (CIEC), l’Institut d’écologie (IE), le Musée national d’histoire naturelle (MNHN) et CUMAT, Centre d’études de la capacité de la terre. Actuellement il y en a 27, dispersées dans toute la Bolivie. Mais ceci nous mène vers une autre histoire et un prochain chapitre.




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