Le 4 septembre 2014
Bientôt trois ans de persécution judiciaire
Dans quelques jours, plus exactement le 9
septembre 2014, Juan Antonio Morales sera resté trois ans en détention
domiciliaire. C’est vrai que depuis lors il a obtenu de pouvoir se déplacer
pour aller à son bureau de l’Université Catholique de La Paz, et qu’on lui a
même permis de voyager pour enseigner dans des universités étrangères, mais sa
situation juridique n’a pas bougé et il n’y a aucune résolution en vue.
L’ironie fait que le procureur chargé du cas,
Harry Suaznabar, a renoncé à son poste et a pris la fuite pour l’Espagne.
Depuis janvier 2013 personne ne sait plus rien de lui. Les deux avocats qui
travaillaient pour le Ministère du Gouvernement et qui menaient la cause,
Dennis Rodas et Fernando Rivera, sont en prison à Santa Cruz pour cause d’extorsion
depuis un peu plus d’un an. Ils étaient mêlés – entre autres choses – dans
l’affaire de Jacob Oestreicher, un juif newyorkais accusé sans fondement de
lavage de dollars, affaire qui a fait du bruit quand l’acteur de cinéma Sean
Penn est venu en Bolivie pour le défendre.
Les fonctionnaires Rivera y Rodas essaient
maintenant de se justifier devant l’opinion publique en disant qu’ils suivaient
des ordres directs d’un « Cabinet juridique », formé par plusieurs
ministres et à charge de diriger les actions de la justice dans le sens désiré
par le gouvernement. Les dénonciations faites par leur collègue Boris Villegas,
également emprisonné à Palmasola, et la longue lettre envoyée par l’ex
procureur Marcelo Soza depuis le Brésil où il est allé se réfugier, ajoutent
tous les jours de nouvelles révélations scandaleuses que les boliviens suivent
avec intérêt dans les journaux – du moins pour ceux qui prennent la peine de les lire.
Malgré le fait que presque trois ans se sont
écoulés depuis l’arrestation de Juan Antonio, le procureur n’a jamais présenté
d’accusation formelle contre lui. Son cas est enterré, avec beaucoup d’autres,
sous des montagnes de papier.
Le code pénal bolivien admet que le temps
employé par le procureur pour trouver des preuves et soutenir son accusation
est de 18 mois. Il y a quelques années cette période maximum était de 6 mois,
déjà long, mais une nouvelle loi a prolongé cette période avec la seule fin de
maintenir en prison un politicien de l’opposition, Leopoldo Fernandez,
ex-gouverneur du département de Pando, dans le nord tropical de la Bolivie, et
candidat rival d´Evo Morales aux élections de 2009.
J’aimerais présenter quelques chiffres à mes
lecteurs. Quatre-vingt cinq pour cent des prisonniers en Bolivie sont en prison
préventive et n’ont jamais reçu de condamnation. Beaucoup sont enfermés depuis des
années, souvent plus que ce qui correspondrait à la peine prévue, au cas où ils auraient été trouvés coupables. D’après les déclarations récentes du procureur
général de l’état, environ 200 des 508 procureurs du pays sont eux-mêmes soumis
à des procès judiciaires, le plus souvent pour corruption, et 45 ont été
destitués pendant les presque deux ans de son mandat. Personne ne sait combien
de juges sont dans le même cas, accusés de prévarication.
Pour en revenir à Leopoldo Fernandez, arrêté le
16 septembre 2008, l’homme a passé quatre ans et cinq mois en prison
préventive, la plupart du temps à la prison de San Pedro à La Paz, et quelque
temps à la prison de haute sécurité de Chonchocoro, à l’Alto, ceci pour le
punir d’avoir fêté son anniversaire avec ses co-détenus en organisant un
barbecue. C’était le prisonnier le plus populaire de La Paz et comme ancien
joueur de football, il faisait l’arbitre dans tous les matches de la prison.
De toute façon, il sortit de là avec une
tuberculose et un cancer au rein qui l’envoya 45 jours dans une clinique.
Jusqu’au jour d’aujourd’hui il est en arrêt domiciliaire dans sa maison de Cota
Cota, un peu plus haut que chez nous, sous la garde constante de la police qui
l’empêche de mettre le nez dehors.
Le gouvernement bolivien avait accusé Fernandez
d’être responsable d’un massacre, lors d’affrontements violents entre des
manifestants paysans et des employés du Service des Routes du département qu’il
dirigeait. L’épisode est obscur et l’enquête n’a jamais été faite sérieusement,
au point que le chiffre des morts n’est toujours pas certain (13 ? au
début on disait 37). Ce qui est absolument établi, c’est que Leopoldo n’était pas
sur place et que d’autre part, il n’a jamais donné d’ordres qui auraient pu
causer ce triste désastre.
Parmi les persécutés par cette politique
d’accusations sans fondement du gouvernement, il y a des professionnels d’une
honnêteté sans faille. C’est le cas de Jose Maria Bakovic, ancien directeur du
Service National de Construction des Routes. Bakovic était déjà retraité de la
Banque Mondiale quand il décida de revenir en Bolivie pour travailler pour son
pays.
Bakovic fut soumis à 76 procès,
dans sept villes différentes, ce qui l’obligeait à voyager sans cesse pour se
défendre. Ces accusations étaient surtout des vengeances de personnes qui
s’estimaient lésées par lui, quand il essaya de mettre de l’ordre dans son service,
longtemps connu comme un nid de corruption. Il est décédé le 12 octobre 2013,
quand la justice l’obligea à venir faire des déclarations à La Paz, malgré les
objections de son médecin, qui savait que son cœur malade n’allait pas
supporter l’altitude.
Épuisé physiquement, âgé et de santé fragile,
il avait été mis en prison deux fois, à La Paz pendant deux mois, puis à
Tarija. Il aurait pu sortir du pays pour vivre tranquille ailleurs mais avait
préféré tout faire pour défendre son honneur. Homme confiant et très croyant,
il avait écrit une lettre émouvante au pape François, pour lui demander
d’intercéder en sa faveur auprès d’Evo Morales qui allait le visiter au
Vatican. En vain. J’espère que les boliviens se souviendront de lui le jour du
premier anniversaire de sa mort, qui est le jour des prochaines élections
nationales.
On dit qu’entre 700 et 800 personnes ont cherché asile dans d’autres
pays pendant le gouvernement d’Evo Morales. Roger Pinto, par exemple, qui avait
dénoncé les relations de certains fonctionnaires du gouvernement avec le trafic
de cocaïne, dut se réfugier à l’ambassade du Brésil où il resta enfermé 454
jours, parce que le gouvernement lui refusait le laisser-passer d’usage dans
ces cas pour quitter le pays. Après une fuite rocambolesque, caché dans le
coffre d’une voiture diplomatique, il put finalement arriver à la frontière
avec le Brésil, où il est depuis un an.
D’autres politiciens, comme Mario Cossío, ex
gouverneur du département de Tarija, des entrepreneurs comme Branco Marinkovic,
de Santa Cruz, et l’ancien procureur Marcelo Soza, se sont réfugiés où ils ont
pu. Ceci ne veut pas dire que tous ont les mêmes qualités humaines que Jose
Maria Bakovic, mais tous sont des échappés d’une justice qui joue le rôle de
contrôle politique.
D’après la presse bolivienne, l'histoire des
soit disant séparatistes et terroristes de Santa Cruz dure depuis cinq ans et
demi, et les boliviens suivent à la télé et dans les journaux les péripéties de
ce procès qui a accumulé les causes de nullité tout en poursuivant son cours
sous le regard immuable du juge. Tous les indices montrent un complot du
gouvernement pour exterminer l’opposition à Santa Cruz.
Cela commence par l’exécution par la police
spéciale d’Eduardo Rozsa, Arpad Magyarosi et Michael Dwyer, surpris dans leur
lit et en caleçon à l’hôtel Las Americas, et la simulation postérieure d’une
scène de combat. C’étaient sans doute des aventuriers étrangers mais leur mort
ne se justifie en aucun cas, sauf que quelqu’un ait voulu les empêcher de
parler. Les autopsies faites en Hongrie et en Irlande contredisent complètement
celles qui ont été faites en Bolivie. Le même jour, il y eût l’arrestation et les mauvais
traitements à Mario Tadic et Elöd Toaso, transportés à la Paz en jeep avec la
tête étroitement emballée dans du carton, parce que les juges de Santa Cruz
allaient être plus difficiles à contrôler.
Peu après nous avons pu voir la manipulation et
la falsification des preuves matérielles, le chantage, l’extorsion envers les
personnes accusées d’avoir financé le groupe, l’achat de témoins, le tout
documenté dans plusieurs vidéos filtrés à la presse , la bombe déposée devant
la maison du cardinal par la police pour justifier l’accusation de terrorisme, déjà
rédigée quinze jours avant les faits, et dernièrement les confessions des
procureurs repentis Soza et Villegas, qui avaient été chargés de l’affaire.
Tout un téléroman.
Grâce à toute cette mise en scène, le
gouvernement du MAS a atteint son objectif : avec 39 personnalités
accusées, dont 9 sont en prison depuis cinq ans et d’autres en arrêt
domiciliaire, il n’y a pratiquement plus d’opposition politique dans l’orient
du pays.
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